Paris, le lundi 7 juillet. La canicule semble être un lointain souvenir. Il est un peu plus de 10h et le soleil se fait discret. L’air est frais, à peine quatorze degrés, et la pluie se fait sentir. Les terrasses des cafés sont clairsemées, et Le Coucou, sympathique bistro niché à l’intersection de l’avenue Duquesne et de l’avenue de Ségur du très chic 7e arrondissement de Paris, voit ses chaises en rotin noires désespérément vides.
L’intérieur est moins calme. Touristes, hommes d’affaires, travailleurs du lundi et quelques Parisiens en vacances prennent leur café. Parmi eux, Patrick Cohen. Le journaliste de « C à vous » sur France 5 et éditorialiste dans la matinale de France Inter a éteint ses micros depuis le vendredi 4 juillet, le temps de l’été.
Il ne risque pas d’y croiser son ennemi du moment, Rachida Dati. Depuis un an, l’ex garde des Sceaux a troqué la mairie du 7e arrondissement pour le ministère de la Culture. Quelques jours plus tôt, dans l’émission de France 5, le journaliste du service public s’était empoigné avec elle. L’objet du drame : ses démêlés judiciaires. Ni une, ni deux, la ministre de la Culture s’est fâchée toute rouge, enfilant son costume de snipeuse, et convoquant le site d’extrême gauche Mediapart pour attaquer Cohen sur des soupçons de harcèlement et le menaçant d’action en justice.
Devant ses trois autres compagnons de tablée, Patrick Cohen semble fatigué. Eux en revanche sont plus en forme. Notamment le journaliste Thomas Legrand, qui a aussi son rond de serviette sur France Inter. Lui bosse encore. Son édito dans Libé vient de paraître : « Pour l’emporter à la présidentielle en 2027, redessiner les frontières de la gauche ». L’éditorialiste de gauche, comme tout le monde, acte la fin du macronisme et attaque le bilan d’Emmanuel Macron. Le problème n’est ni les 3 800 milliards de dettes, ni l’insécurité qui gangrène tout le territoire, ni le niveau scolaire en chute libre, ni les services publics à l’abandon mais « l’extrême droite [qui] domine de la tête et des épaules et la droite, qui a déjà rallié les mots et les idées du RN ». Alors il propose une solution : le retour de la gauche, plus précisément « les écologistes, les socialistes et les anciens LFIstes mais aussi les communistes, Raphaël Glucksmann et Pascal Canfin ».
Un sauveur nommé Glucksmann
Cela tombe bien car sont attablés, de part et d’autre des deux journalistes, Pierre Jouvet, l’eurodéputé PS en charge de la stratégie électorale, ainsi que Luc Broussy, président du Conseil national du PS. Si « l’information n’est pas une opinion » comme l’affirme Radio France sur les panneaux d’affichages, ici non seulement on ne cache pas ses opinions, mais on élabore des stratégies. Patrick Cohen lance les hostilités : « J’ai débriefé avec Vincent Martigny l’interview fleuve de Mélenchon [parue le 25 juin dans Le 1 Hebdo, ndlr], elle est encore plus fleuve en vrai, elle a duré trois heures ! ». Thomas Legrand renchérit : « C’est là où il est fou. Il aurait pu se dire “je vais me recentrer, je vais m’assagir”, mais il ne l’a pas fait ». Pierre Jouvet a une explication : « Lors des négociations de la NUPES en 2022, il m’assurait qu’il avait un socle de 22%. Il en est encore persuadé aujourd’hui. » Thomas Legrand bougonne : « Le prochain coup, on sait que ce sera Le Pen ou Bardella, donc en face un centriste, pas Mélenchon. » Patrick Cohen doute : « Je ne suis pas sûr », ce qui embarrasse Legrand : « À moins qu’on ait une énorme vague facho. Le Pen face à Retailleau et alors là… même moi je ne sais pas ce que je vote. Mais un jour on va devoir se retrouver à voter Marine pour faire barrage à Marion, y’a de quoi devenir fou. »
« Le champ, c’est de Ruffin à Canfin. L’intérêt de Canfin, c’est d’élargir la bordure pour que Glucksmann soit plus au milieu ! »
Heureusement pour nos quatre stratèges, un homme offre un espoir : Raphaël Glucksmann. Problème, il est côté à 10%. Mais Legrand voit plus loin : « Le champ, c’est de Ruffin à Canfin [ex-ministre Europe Écologie Les Verts dans le gouvernement Ayrault puis eurodéputé Renaissance depuis 2019, ndlr], pas de Ruffin à Glucksmann. En plus, Canfin et Ruffin, ils s’entendent pas mal, il n y’a que l’Europe où ils se séparent un peu.». Puis il surenchérit : « Si tu pars de Glucksmann à Ruffin, Glucksmann est en bordure si tu veux ! L’intérêt de Canfin, c’est d’élargir la bordure pour que Glucksmann soit plus au milieu ! » On appelle ça un habile compromis. Patrick Cohen est plus sceptique : « Oui mais avec un score tout mouillé de 32, 33%… ». Au premier tour, ça offre tout de même un ticket pour le second.
France Inter à la rescousse, et feu sur Dati
Mais quid alors du second tour ? « Le problème, en cas de Le Pen/Gluscksmann, c’est que je ne sais pas ce que fait le centre droit »,explique Legrand. C’était sans compter le service public : « Je pense qu’ils vont sur Glucksmann »,concède finalement l’éditorialiste. « Le marais centre-droit centre-gauche, on ne les entend pas beaucoup, mais ils écoutent France Inter. Et ils écoutent en masse. » Serait-ce à dire que c’est France Inter qui va se charger de les convaincre de voter Glucksmann ? Pierre Jouvet, en charge de la stratégie électorale, se frotte les mains : « On est d’accord sur cette idée d’un candidat commun non-mélenchoniste. » Mais quel avenir pour Olivier Faure, premier secrétaire du PS ? « On sera tous derrière Glucksmann », leur affirme Jouvet.
« Le marais centre-droit centre-gauche, on ne les entend pas beaucoup, mais ils écoutent France Inter. Et ils écoutent en masse. »
Mais avant 2027, il reste l’obstacle des municipales. Pierre Jouvet hausse le ton : « Moi j’ai fixé le truc de manière très clair, je vais le redire : c’est un candidat commun. Donc je l’ai redit à Tondelier : tu ne vas pas essayer de faire la peau à Emmanuel Grégoire à Paris, tu ne vas pas essayer de me planter à Montpellier. » Le Rassemblement national semble les effrayer. « Ils arrivent à créer des listes qui ne se feront pas détruire par la presse ? » demande Thomas Legrand. « Ils sont en train d’en faire partout ! » répond Jouvet. « Mais ils trouvent du monde ? » s’interroge Legrand qui n’en croit pas ses oreilles : « Oh oui, ils ont monté plein de petits collectifs anti-éoliens, ou de défense du patrimoine villageois », explique Jouvet. « Je le vois dans la Drôme : ils n’ont jamais réussi à faire une liste municipale, mise à part à Valence et Montélimar, bah je pense qu’ils peuvent gagner Montélimar par exemple. »
Mais un autre danger pointe son nez, cette fois-ci à Paris, chasse gardée de la gauche depuis 2001. Thomas Legrand dégaine le premier : « Paris c’est risqué ou pas avec Dati ? » Le mode de scrutin (qui sera voté trois jours plus tard) va changer. « Ça va changer la donne » affirme Jouvet. Qu’importe : « Patrick et moi, on fait ce qu’il faut pour Dati », déclare Thomas Legrand. La stratégie est on ne peut plus claire : utiliser les médias publics, financés avec l’argent du contribuable, pour descendre Dati.
Tout schuss sur l’éolien
Mais après la stratégie viennent les idées. Eh oui, il en faut un minimum. Ce sera notamment l’écologie. Patrick Cohen attaque : « Les arguments du RN sur l’électricité comme quoi le prix va doubler dans les dix prochaines années, tout est faux. » Legrand n’oublie pas les autres : « Retailleau, Dati et tout ça ils sont là-dedans aussi… Ils sont dans le faux ». Et ils ont des relais dans la presse qui plus est. Scandale.
« La Bollosphère ils mentent »
« La Bollosphère ils mentent », affirme Thomas Legrand. « C’est pas comme Le Figaro, on n’est pas d’accord avec eux mais ils ne mentent pas » ajoute-il. Patrick Cohen n’est pas d’accord : « Si… ». « Le Figaro Vox, oui » répond Legrand. Mais Cohen n’en démord pas. « Non pas seulement. J’ai eu Alain* du service écologie du Figaro, il me dit qu’il y a des gens tout à fait combattants sur l’énergie mais ils ont beaucoup de mal à faire des papiers qui soient pro-renouvelables ! Donc si tu veux, ça infuse aussi sur la ligne de ce genre de journal ! » Pierre Jouvet le coupe : « Dans les exécutifs locaux, l’énergie est un sujet que la droite a saisi depuis longtemps. Mais la nouveauté c’est que c’est projeté au niveau national. Chez moi, la droite est anti-éolienne depuis dix ans ! » Thomas Legrand, inquiet, demande « Et la population les suit ? ». Réponse immédiate de Patrick Cohen : « Il y a eu un sondage Ipsos très intéressant qui disait qu’une majorité de Français pensent que la bonne solution, c’est le mix énergétique, et la sympathie pour l’éolien et pour le solaire dépasse les deux-tiers. » « C’est assez rassurant », souffle Thomas Legrand.
Vous demandiez le programme France Inter ? Le voici : propulser Raphael Glucksmann comme favori à la présidentielle de 2027, empêcher Rachida Dati de remporter la mairie de Paris en 2026 et retapisser la France d’éoliennes et de panneaux solaires. Rassurez-vous, ça coûte pas cher, c’est Nicolas qui paye.
*Le prénom a été changé
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