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François-Henri Désérable ou l’élégance du vagabond

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Publié le

13 août 2025

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En suivant les traces de Guevara à travers l’Amérique du Sud, François-Henri Désérable signe moins un carnet de route qu’un manifeste discret pour l’errance et la liberté. Chagrin d’un chant inachevé délaisse la légende révolutionnaire pour préférer l’élégance du doute, l’humour du contretemps et la poésie des noms propres.
Image d'illustration. © Flickr

On pourrait se gausser d’un titre trop romantique pour un récit de voyage – Chagrin d’un chant inachevé, un vers de Neruda en bandoulière. Pourtant, dès l’amorce, Désérable nous convainc : il y a ici rude lumière, audace et mélancolie réunies. Son périple sud américain n’est pas un simple itinéraire – mais un lieu philosophique où la poésie tient lieu d’instrument, et où la liberté se mesure à l’aune du sac de voyage, et non des meubles bon marché.

Sous sa plume, le souvenir du Che Guevara n’est plus hagiographie, mais écran de projection : ni apologie ni traité politique sérieux, juste un moyen de renaître hors du rang. Sa posture critique porte surtout sur lui-même, sur l’« insuffisance des mots », sur l’insupportable beauté – comme s’il fallait préférer un paysage vécu à un livre écrit sur ce même paysage.

La langue, d’une élégance trempée, résiste au lyrisme panthéiste : un ton sobre de poésie vraie, qui entend mettre un terme à « l’extase panthéiste dont regorge la littérature de voyage ». Il y a une modestie impérieuse chez Désérable, un refus du grand geste à la Yourcenar ; au contraire, il aime l’ombre des noms, la cadence fragile des lieux : Valparaiso, Patagonie, Uyuni… des noms qui dansent, rêvent, poétisent le réel.

Et puis, il y a l’écrivain – non pas l’exposeur, mais le vagabond de l’écriture. Chaque contretemps, chaque panne, chaque rencontre devient matière à penser. « Les désagréments du voyage sont déplaisants au voyageur, mais profitables à l’écrivain », écrit-il, comme si le récit s’écrivait précisément là où tout menace de dérailler.

On songe à un Bouvier de l’aube, au souffle vivant d’un retour impossible : l’écrivain revendique cette tradition mais y ajoute son humour élégant, sa silhouette de jeune bourgeois conscient des pièges du succès et de la réussite – ce « registre d’écrou » dont il s’est délesté pour choisir un carnet plein de tampons, de passeports, de départs.

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Seul léger bémol : parfois, la prose effleure la facilité du lieu commun – « le plus beau voyage est celui qui reste à faire ». Mais ces moments restent rares, face à la vitalité d’un récit qui nous saisit et nous fait repartir, l’esprit en alerte.

En cet été 2025, Désérable offre un livre précieux : un chant inachevé, fidèle à lui-même, mais assez achevé pour troubler, réveiller, et donner à re-croire qu’écrire peut-être un acte de liberté. Un récit qui, longtemps après la lecture, vous murmure : repart.

François-Henri Désérable, Chagrin d’un chant inachevé – Sur la route de Che Guevara, Gallimard, mai 2025, 208 p., 20 €

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