On pourrait se gausser d’un titre trop romantique pour un récit de voyage – Chagrin d’un chant inachevé, un vers de Neruda en bandoulière. Pourtant, dès l’amorce, Désérable nous convainc : il y a ici rude lumière, audace et mélancolie réunies. Son périple sud américain n’est pas un simple itinéraire – mais un lieu philosophique où la poésie tient lieu d’instrument, et où la liberté se mesure à l’aune du sac de voyage, et non des meubles bon marché.
Sous sa plume, le souvenir du Che Guevara n’est plus hagiographie, mais écran de projection : ni apologie ni traité politique sérieux, juste un moyen de renaître hors du rang. Sa posture critique porte surtout sur lui-même, sur l’« insuffisance des mots », sur l’insupportable beauté – comme s’il fallait préférer un paysage vécu à un livre écrit sur ce même paysage.
La langue, d’une élégance trempée, résiste au lyrisme panthéiste : un ton sobre de poésie vraie, qui entend mettre un terme à « l’extase panthéiste dont regorge la littérature de voyage ». Il y a une modestie impérieuse chez Désérable, un refus du grand geste à la Yourcenar ; au contraire, il aime l’ombre des noms, la cadence fragile des lieux : Valparaiso, Patagonie, Uyuni… des noms qui dansent, rêvent, poétisent le réel.
Et puis, il y a l’écrivain – non pas l’exposeur, mais le vagabond de l’écriture. Chaque contretemps, chaque panne, chaque rencontre devient matière à penser. « Les désagréments du voyage sont déplaisants au voyageur, mais profitables à l’écrivain », écrit-il, comme si le récit s’écrivait précisément là où tout menace de dérailler.
On songe à un Bouvier de l’aube, au souffle vivant d’un retour impossible : l’écrivain revendique cette tradition mais y ajoute son humour élégant, sa silhouette de jeune bourgeois conscient des pièges du succès et de la réussite – ce « registre d’écrou » dont il s’est délesté pour choisir un carnet plein de tampons, de passeports, de départs.
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Seul léger bémol : parfois, la prose effleure la facilité du lieu commun – « le plus beau voyage est celui qui reste à faire ». Mais ces moments restent rares, face à la vitalité d’un récit qui nous saisit et nous fait repartir, l’esprit en alerte.
En cet été 2025, Désérable offre un livre précieux : un chant inachevé, fidèle à lui-même, mais assez achevé pour troubler, réveiller, et donner à re-croire qu’écrire peut-être un acte de liberté. Un récit qui, longtemps après la lecture, vous murmure : repart.





