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Constatant comment n’importe quelle starlette surestimée s’était mise à publier son journal de confinement, Maximilien Dreyer, écrivain maudit et de droite, a décidé d’explorer à son tour ce nouveau genre littéraire. À sa manière à lui.
Jour 5 : Rien.
Jour 6 : Rien.
Jour 7 : Rien.
Jour 8 : Rien. Enfin si, il se passe toujours vaguement quelque chose, mais le problème du confinement, c’est que ça limite l’aventure. En revanche, si on accepte d’être réduit au statut d’observateur, le paysage est fascinant. En dévalisant, lors des premiers jours, les rayons des supermarchés de papier toilette et de pâtes, tout ce que la France compte d’incorrigible plèbe nous a rappelé qu’un homme qui a peur se rétracte à la dimension de son intestin : comment le remplir, comment le vider ; et que la foi n’est pas qu’une vertu théologique, mais également esthétique, parce qu’elle permet de surmonter l’avilissante terreur animale.
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Jour 9 : Passé la journée à écrire des articles pour un célèbre journal de gauche (pléonasme). Activité facile et lucrative. Il suffit d’enfiler des lieux communs en variant l’ordre. Enfin, il suffit de connaître un vieux qui y tient un poste clé puis d’enfiler des lieux communs en variant l’ordre. Le soir, ma voisine a frappé pour me proposer de partager une bouteille avec elle. Cela m’a d’abord rassuré puisque je n’avais pas de souvenir de la manière dont s’était conclue notre soirée de la semaine précédente. M’étant réveillé seul, j’avais du moins conclu n’être pas parvenu à coucher avec elle, mais je ne disposais pas d’autre indice et craignais d’avoir dérapé sous l’effet de l’alcool. Il semble donc que j’étais resté fréquentable, puisque je me suis retrouvé sur son canapé à siroter un vin du Sud-Ouest tout à fait passable, en évoquant avec elle les joies saines du confinement. Cependant, après une journée à baver des conneries bien-pensantes, cette accumulation de fadaises a fini par m’écœurer, surtout après la vodka que Léonore, c’est son nom (à moins que ce soit Éléonore, ou Lénore, je ne sais plus bien), a ramené des étagères de sa cuisine. Quand j’ai voulu allumer mes cigarettes avec ses poches de Sartre préalablement enflammés, elle m’a cependant congédié.
Ce qui implique de laisser crever des vieux qui avaient, eux, respecté les consignes, et qui auront, peut-être, donc, subventionné leur propre agonie par le truchement des pépites de banlieue.
Jour 10 : Ça y est, l’Île-de-France commence à être sérieusement touchée par le fléau chinois. Le 9.3. n’est plus seulement saturé de racailles, désormais il n’a plus où loger ses malades. Le département impossible à confiner est le département le plus ravagé ; il y a les morales idéologiques, qui innocentent les catégories immaculées, et puis il y a la beau, simple et brutal principe de causalité qui sanctionne implacablement la connerie et l’orgueil barbares. Ce qui est gênant, c’est qu’au passage, les « dionysiens » nous enculent. Avec l’argent que les impôts du reste du pays ont permis de déverser sur eux depuis quinze ans, on aurait pu ouvrir des lits d’hôpitaux pour soigner toute l’Europe. Après avoir entendu les fils hurler : « Nique les confinement ! », on surprend désormais les lamentations des mères : « Soignez mon fiiiiiils ! ». Ce qui implique de laisser crever des vieux qui avaient, eux, respecté les consignes, et qui auront, peut-être, donc, subventionné leur propre agonie par le truchement des pépites de banlieue. Mais finalement, on se trouve là aussi face à une morale pragmatique qui sanctionne l’aveuglement politique collectif. Cruel, mais juste.
Jour 11 : Bataille autour du druidique professeur Raoult. Une pandémie mondiale, c’est comme un guerre mondiale : on peut jauger les tempéraments nationaux à l’aune d’une épreuve commune. Les Chinois liquident les lanceurs d’alerte, liquident les chiffres réels, liquident les désobéissants, liquident le virus, et s’apprêtent à remporter les bénéfices mondiaux, en envoyant masques et médecins aux Européens qui demeuraient convaincus qu’un virus n’allait tout de même pas s’attaquer à des gens civilisés, ouverts et férus de l’égalité hommes-femmes. Les Anglais, dans leur morgue insulaire, s’imaginent dispensables de confinement, puis confinent quand le taux de mortalité prévu s’annonce mauvais pour l’économie.
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Les Allemands avancent en rang se faire dépister. Et les Français : eh bien, ils se divisent en deux camps, s’étripent dans des polémiques qui grondent plus que la question épidémique elle-même, cherchent un homme providentiel, tergiversent des heures sur des questions de méthodologie, s’invectivent, s’insultent, et ne parviennent à trancher s’ils vont sauver le monde grâce à leurs formidables institutions ou grâce à leurs génies rebelles, au risque d’être les premiers à y passer. Quoi qu’il en soit, Raoult, qui passe pour un illuminé, tient le même discours depuis deux mois, qui a défaut d’être encore vérifiable, est cohérent, et n’a pu être objectivement pris à défaut. Ceux qui le moquent n’ont rien prévu, ont changé déjà trois fois d’analyse, se prétendent « scientifiquement raisonnables », mais sont incapables de répliquer à leurs adversaires avec des arguments rationnels.
Jour 12 : Deuxième week-end de confinement. Les modernes, toujours tentés de régresser vers Mère Nature, s’extasient devant les canards qui pavanent connement, en file indienne, sur le parvis de la Comédie-Française. Désolé, mais je préfère quand même y voir se promener des femmes élégantes ou des officiers couverts de gloire se précipitant pour assister à une nouvelle mise-en-scène d’Iphigénie. Une profonde nostalgie m’a étreint. J’ai frappé chez ma voisine, et même si j’ai remarqué qu’elle manquait suffisamment de caractère pour porter des Stan Smith, je lui ai proposé de venir dîner chez moi.
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Magret de canard, pommes grenailles, quatre bouteilles. On a fini par danser une valse erratique dans mon salon, je l’ai embrassé dans le cou. Et c’est là qu’elle m’a appris que son mec était interne. Bref : un soldat au front du Covid 19, et qui ne la visite plus par peur de la contaminer. Voilà qui m’a refroidi et a gâché la fin de soirée. Je l’ai reconduite chez elle vers deux heures, en parfait gentleman, lui tenant même les cheveux lorsqu’elle s’appliquait à régurgiter notre festin dans la cuvette des toilettes. Alice. Elle s’appelle Alice, en fait.
Par Maximilien Dreyer
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