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Par Alain Paillard et Jacques Bichot
La réussite (ou l’échec) d’un président de la République est souvent mesurée à l’aulne de l’évolution d’indicateurs économiques : PIB, chômage, emploi, niveau de vie, investissements réalisés par les entreprises, finances publiques, etc. Des indicateurs plus « sociaux » sont également utilisés : taux de criminalité et de délinquance, taux de pauvreté, indices d’inégalité de revenus, classements internationaux en matière de performances scolaires, et ainsi de suite. Et, bien entendu, des enquêtes d’opinion sont menées en grand nombre sur l’action et la personne du Président. En revanche, il n’entre absolument pas dans les habitudes de recourir à un indicateur démographique. Ceci est regrettable pour au moins deux raisons.
Pourquoi la natalité est un indicateur important pour apprécier l’action de nos dirigeants
La première est l’importance de la démographie, et particulièrement des naissances : c’est d’elles que dépend au premier chef l’avenir à long terme de notre pays. A la Libération, le général de Gaulle a très justement lancé un avertissement : s’il devait s’avérer, malgré la victoire, que la natalité restait faible, insuffisante pour assurer le renouvellement des générations[i], « la France ne serait plus qu’une grande lumière qui s’éteint ». Et, de fait, si la France a retrouvé une place honorable dans le concert des nations, c’est bien, dans une large mesure, parce que les « trente glorieuses » ont été pour notre pays une période de forte natalité.
La seconde raison qui pousse à recourir aux données démographiques, comme aux données économiques et sociales, pour évaluer la performance d’une équipe dirigeante, c’est que la « mise en route » des futurs citoyens est un indicateur important de confiance dans l’avenir, et donc dans les personnes qui gouvernent le pays. Une vision optimiste du gouvernement de la France incite à mettre des enfants au monde car nous avons envie que nos enfants soient heureux, et donc qu’ils grandissent dans un pays ayant des dirigeants qui s’occupent efficacement du bien commun. La relation entre l’opinion que nous avons de nos gouvernants et la natalité est certes complexe, mais il n’est pas absurde de considérer que, dans un pays développé, une bonne natalité signifie plutôt une bonne opinion – et une faible natalité, une opinion médiocre.
D’un point de vue objectif, si la vitalité démographique n’est pas retenue comme l’un des critères de réussite de nos gouvernants, alors il n’y a pas davantage de raison de prendre comme critère la production ou l’investissement : non seulement l’homme est plus important que les biens et services, mais il est vrai aussi que, pour ce qui est du futur à long terme de la production, l’investissement dans la jeunesse est le plus décisif de tous les investissements.
Les naissances de mars 2018 fournissent un tout premier test démographique de la présidence Macron
La naissance d’un enfant survient en moyenne 9 mois après sa conception. Emmanuel Macron ayant été élu le 7 mai 2017 et étant entré en fonction une semaine plus tard, le nombre des naissances du mois de mars 2018, qui correspondent aux conceptions réalisées en juin 2017, constitue la première information disponible pour apprécier, sinon l’action de nos dirigeants, du moins l’impact que leur accession aux postes de commande a eu sur le moral des couples en âge de procréer.
L’INSEE fournissant généralement le nombre des naissances du mois N à la fin du mois N+1, du moins pour la France métropolitaine (les chiffres France entière ne sont disponibles que nettement plus tard), le chiffre du mois de mars vient d’être publié : 56 300 naissances vivantes.
Ce test est négatif : l’élection d’Emmanuel Macron n’a provoqué aucun sursaut démographique
En effet, l’orientation baissière perdure et s’accentue. Dans un précédent article, nous avions indiqué que cette baisse a débuté en 2010, et s’est accélérée en 2015. Depuis quelques mois, une nouvelle accélération est en cours, qui est particulièrement visible lorsqu’on indique pour chaque mois le nombre moyen de naissances par jour, ce que fait le tableau suivant :
Mois | Naissances du mois | Nombre de jours | Naissances par jour | Variation |
Octobre 2017 | 63 900 | 31 | 2 061 | |
Novembre 2017 | 60 800 | 30 | 2 026 | – 1,7 % |
Décembre 2017 | 60 900 | 31 | 1 964 | – 3,1 % |
Janvier 2018 | 59 800 | 31 | 1 929 | – 1,8 % |
Février 2018 | 52 700 | 28 | 1 882 | – 2,4 % |
Mars 2018 | 56 300 | 31 | 1 816 | – 3,5 % |
Durant les 6 derniers mois, la chute du nombre journalier des naissances est effrayante : en cinq mois (puisqu’octobre 2017 est le mois de référence), ce nombre diminue de 11,9 % ! Mais tout aussi inquiétante est l’accélération de la chute en mars 2018 : 3,5 % en moins, d’un mois sur l’autre, est un pourcentage tellement élevé qu’on pourrait se demander si le chiffre indiqué (à titre provisoire) par l’INSEE n’est pas légèrement entaché d’erreur. En tous cas, dans l’état actuel des statistiques de naissances, on ne saurait dire que les jeunes ménages français ont été rendus plus optimistes par l’élection d’Emmanuel Macron : la désespérance observée à travers la lunette démographique pour les trois dernières années de la Présidence Hollande, et tout particulièrement pour ses quatre derniers mois, chargés en inquiétudes électorales, ne semble nullement avoir été enrayée par l’élection de notre jeune Président.
[i] Ce renouvellement requiert, abstraction faite des mouvements migratoires, un indicateur conjoncturel de fécondité (ICF) au moins égal à 2,07 enfant par femme. Jusqu’en 1974, y compris cette année-là pour laquelle l’ICF fut égal à 2,14, cette condition fut remplie. Depuis-lors, l’ICF français n’a plus jamais atteint 2,07. En 2017, pour la France métropolitaine (la valeur France entière est connue plus tardivement), il a valu 1,85. La croissance de la population est due à deux autres phénomènes : l’allongement de la durée de vie moyenne, et une immigration supérieure à l’émigration. Hélas, la croissance de la longévité n’a pas été gérée intelligemment (l’abaissement de l’âge de la retraite à 60 ans en 1982 a privé la France des bénéfices qu’elle aurait pu en tirer), et la qualification des immigrés n’est pas en moyenne suffisante pour compenser la déperdition de compétences due à l’émigration.
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