J’ai malheureusement quitté cet état et éprouve désormais beaucoup de mal à rédiger cet édito, parce que les conditions classiques ne sont pas réunies. Je suis sobre, c’est l’heure du goûter, et l’équipe rivalise tranquillement de calembours foireux à jeter en Une pour appâter le lecteur. En règle générale, je suis ivre, c’est l’urgence, nous avons passé minuit, des chansons ringardes tournent en boucle, Nicolas Pinet darde sur son écran des yeux irrités et fixes et Jacques de Guillebon rouvre une bouteille en me promettant qu’il finira son édito avant le mien – ce qui arrive en effet la plupart du temps (j’écris des phrases vives, mais à un rythme modéré). Il arrive même que des garçons et des filles débarquent soudain avec une bouteille de vodka, virevoltent autour de nous et transforment le bouclage en after. Je crois que cette atmosphère inflammable contribue à l’ardeur de mes éditos, laquelle leur assure une réputation qui n’est plus à démontrer dans tout le monde francophone.
S’il lisait nos confrères de Télérama, ceux-ci l’encourageraient à voir le sketch « Dava », sur YouTube, et ils bâilleraient pendant seize minutes devant de jeunes comiques médiocres qui parodient laborieusement le jargon macronien et qui prouvent aussi à quel point la vogue des YouTubeurs a dégradé le niveau général, comme si les ados attardés d’internet avaient aligné tous les comédiens français sur leur amateurisme.
J’espère donc ne pas produire un truc tiède et engoncé qui ennuierait le lecteur. Enfin, au pire, même si je rate cet exercice, qu’il sache qu’il ne sera pas maltraité par la suite. S’il lisait nos confrères de Télérama, ceux-ci l’encourageraient à voir le sketch « Dava », sur YouTube, et ils bâilleraient pendant seize minutes devant de jeunes comiques médiocres qui parodient laborieusement le jargon macronien et qui prouvent aussi à quel point la vogue des YouTubeurs a dégradé le niveau général, comme si les ados attardés d’internet avaient aligné tous les comédiens français sur leur amateurisme. En revanche, dans ces pages, on découvrira l’excellent Arnaud Demanche dont le dernier spectacle, lui, se révèle vraiment hilarant et subversif.
Après la dérision cynique de l’Occident libéral vainqueur des années 90, qui était un effet de fatuité repue, nous sommes passés à la dérision goguenarde des fliqués du cerveau, celle qui domine à France Inter et qui est un effet d’aveuglement volontaire – on croit se sauver par l’ignorance et le mépris.
Parfois, il y a des humoristes qui nourrissent davantage la réflexion que de faiblards philosophes à la mode, et qui redéfinissent leur métier, après Charlie, avec un relief héroïque et tragique qu’on n’aurait guère soupçonné dix ans plus tôt, comme on n’aurait guère deviné, alors, qu’un ennemi intérieur exécuterait les dessinateurs en France. Après la dérision cynique de l’Occident libéral vainqueur des années 90, qui était un effet de fatuité repue, nous sommes passés à la dérision goguenarde des fliqués du cerveau, celle qui domine à France Inter et qui est un effet d’aveuglement volontaire – on croit se sauver par l’ignorance et le mépris. Mais il y a aussi un nouvel honneur des humoristes, justement, que nous sommes heureux de défendre ici, quand on fait rire pour révéler les tensions et s’y confronter avec la juste distance, quand on pratique l’humour-élastique à portée des balles. Alors les choses redeviennent sérieuses. Et l’on salue. J’ai fait ce que j’ai pu, maintenant, je vous laisse : il y a pot. « Il est 18 heures… », remarque Nicolas. Sur mon ordinateur, l’horloge indique 17 h 54. « Il y a pot ! », déclare Jacques. « Il y a pot ! », reprennent en chœur les personnes autour de la table. Je me relis et découvre que je n’ai presque insulté personne dans ce papier. J’espère que la lectrice ne m’en tiendra pas rigueur. J’ai fait ce que j’ai pu, maintenant, je vous laisse : il y a pot.
Parfois, il y a des documentaires qui atteignent la splendeur d’authentiques œuvres d’art, c’est le cas de Mistify, visible ce mois-ci par le public français, grâce à son prodigieux montage, évidemment, mais aussi parce que la matière brute y est remarquable : voici l’une des premières occurrences de l’Histoire où nous disposons de la trace filmique d’une vie entière, celle de Michael Hutchence, ici, le chanteur d’INXS, une trace dont les origines sont autant privées que publiques, intimes ou d’écho mondial. La destinée d’Hutchence étant celle d’un Icare des années 80, ce singulier témoignage n’en revêt pas moins une dimension parabolique atemporelle, et cela sous une forme tellement singulière et inédite, que ce visionnage m’aura laissé en extase.
Romaric Sangars
L’éditorial culture de Romaric Sangars : Édito abstème
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Publié le
1 mars 2020
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