Superbe et glaçant
Plexiglas mon amour, Éric Chauvier, Allia, 150 p., 10€
On connaît la maxime de Chesterton, le fou n’est pas celui qui a perdu la raison, mais celui qui a tout perdu sauf la raison. C’est en ce sens que la femme du narrateur de Plexiglas mon amour semble devenir folle. Elle ne détruit pas le mobilier sans raison, ne pousse aucun cri, ne commet pas d’excentricité. Mais tout est calcul pour elle, depuis que l’épidémie s’est déclenchée. Jusqu’aux mots qu’elle prononce à l’égard de son mari qu’elle jette peu à peu hors du domicile puis chez les fous (mais on finit par ne plus savoir qui est le fou de l’autre), tout en lui répétant que c’est pour son bien et celui des enfants, « (mon amour) ». Et Kevin, cet ami d’enfance que retrouve le narrateur par hasard, mué en survivaliste intempérant, est-il autre chose qu’un fou qui s’applique à bannir de lui-même toute forme d’humour, de second degré, se préparant à affronter le pire et voulant l’embarquer avec lui dans la marginalisation extrême ? Quand la pandémie soudain arrive, le monde entier semble vaciller et perdre ses repères, laissant grand ouverte la porte à la folie qui prend l’aspect de la raison la plus rationnelle. Le narrateur est-il finalement le vrai fou, lui qui ne souhaite qu’une chose, reprendre sa vie d’avant, dans son doux foyer, avec une femme qui l’aime et ses enfants qui regardent « Les Ch’tis à Miami » ? Avec la férocité lucide d’un Houellebecq, dans une langue épurée, factuelle et précise qui rappelle celle de Baudouin de Bodinat, Éric Chauvier nous offre une fable contemporaine d’une ironie glaçante, si juste dans son exagération. Lecture obligatoire pour tous. Matthieu Falcone
Bribes avec perles
Jouer Dantzig sur un match de football, carnets intimes 1909-1942, Pierre Drieu la Rochelle, Gallimard, 256 p., 19€
Les Cahiers de la NRF publient des inédits de Drieu qui sentent un peu le fond de tiroir puisqu’il s’agit du contenu de plusieurs carnets ayant survécu à l’incendie du garde-meuble de l’écrivain, dont plusieurs litanies de noms propres. Du lycéen en voyage linguistique en Angleterre observant les préraphaélites au directeur de la NRF occupée tentant de rassembler des troupes en passant par des notes sur la préparation de certains romans ou les obsessions géopolitiques de l’auteur, ces bribes rescapées environnent toute la destinée de l’écrivain. Livre pour passionnés, ceux-ci n’en recevront que de rares lueurs sur l’énigme Drieu : son acharnement d’observateur esthète de la peinture comme clinique de lui-même, quelques plans de roman, sa remarquable précocité. Restent, surtout, une brillante préface de Julien Hervier et un certain nombre de perles, soit légères : « Si j’étais femme, je n’aimerais pas beaucoup coucher avec un radical-socialiste » ; soit violentes, comme ce mystérieux haïku : « J’ai bu avec les marins / il faut que tout soit détruit / ils ont raison. » Romaric Sangars[...]
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