Un délire magistral
Les aventures d’un sous-locataire, Iouri Bouïda, Gallimard, 452p., 24€
Stalen a un prénom bizarre, hybridation de ceux de ses parents, Stanislav et Lena, mais il lui faut toujours expliquer que cela n’a rien à voir avec Lénine ou Staline. « Sous-locataire » de sa propre existence, il boit et baise beaucoup, se retrouve sans cesse embarqué dans des situations improbables, voire carrément loufoques ou sanglantes, et s’imagine en grand écrivain. Jeune provincial, il débarque à Moscou après la chute de Gorbatchev pour être hébergé puis initié par Phryné, une femme de trente ans son aînée, tranchante, cocasse et qui décide de l’aider à accoucher d’une œuvre. Iouri Bouïda nous offre un roman d’une volubilité stupéfiante, qui enchaîne à un rythme débridé les anecdotes, les personnages, les réflexions les plus absurdes et caustiques, pour une véritable jubilation littéraire déjantée trouvant sa matière dans les terribles années 90 et le chaos post-soviétique. Il semble, si l’on pense à Vladimir Sorokine, qu’il y ait une veine spécialement psychédélique et survoltée dans la littérature russe contemporaine. Bouïda le confirme avec éclat. Romaric Sangars
Charme interlope
Milady la nuit, Laura Berg, Serge Safran, 164p., 16,90€
Quel beau titre, Milady la nuit ! On croirait une compression de titres de Paul Morand (Milady, Ouvert la nuit, Fermé la nuit). C’est l’histoire de deux jeunes gens à la dérive à Paris, qui mènent une vie d’expédients dans des appartements prêtés, et fréquentent le monde de la nuit. Ils tombent dans une boîte à champagne sur Milady, jeune entraîneuse encore fraîche, pleine de charme, qui devient leur amie. Mais existe-t-il de vrais amis dans cet univers à part, où nécessité fait loi ? Laura Berg décrit les relations au sein du trio (l’amitié, l’amour, la jalousie, la trahison), et leur imagine des aventures : les voici partis pour la Bretagne, où ils occuperont la maison d’un client fortuné de Milady, un brave type nommé Armand, qui traficote des œuvres d’art… La romancière restitue à merveille l’atmosphère de débrouille, d’insouciance, de détresse et de mélancolie où évoluent ses personnages, leur univers interlope et nocturne, leur existence sans calcul faite de larcins, d’établissements chics et de fréquentations douteuses. On songe tantôt à certains romans de Modiano, déplacés des années 1960 aux années 2000, tantôt à un film de Chabrol, pour la touche criminelle et la spirale où s’enfoncent les personnages. À Jules et Jim, aussi, modèle de tous les trios. Laura Berg crée une ambiance mystérieuse, triste et gaie, dans une langue sobre et sans afféteries, élégante, directe. Quelques pages suffisent, le charme agit. […] Bernard Quiriny
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