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George Steiner, disparu le mois dernier, déclarait à propos d’Auschwitz qu’il s’agissait d’un événement « inarrêtable ». Autrement dit qu’il continuait une époque et en ouvrait une autre. Dès lors, les regards historiens sur Auschwitz, et le système totalitaire nazi qui l’a rendu possible, s’ils sont nécessaires afin de comprendre le mécanisme physique de l’abjection, nous laissent interdits devant un tel trou noir dont la raison ultime reste probablement de nous dévoiler la synthèse absolue de notre civilisation dans sa part démoniaque.
D’où notre désarroi face à une idéologie empruntant aussi bien au passé, par son féodalisme caricatural, qu’elle préfigure notre présent et son esprit d’entreprise technicienne. La spontanéité, la flexibilité, l’innovation, le travail dans la joie et la liberté, que vante un Reinhard Höhn, ancien technocrate au service d’Hitler reconverti en pape du management après-guerre, autant de slogans qui définissent le rapport idéal que nous entretenons avec notre existence sociale, articulée autour du souci d’être libre et de nous réaliser. On aimerait alors que les nazis ne fussent, eux, pas libres, ni qu’ils souhaitassent l’être, et qu’ils ressemblent plutôt à ces caricatures de croyants qui maudissent la liberté parce qu’elle les éloignerait de la soumission à leurs divinités mauvaises.
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Las, c’est de la liberté qu’ils se réclament, de la liberté sociale qui consiste à être son propre maître pour participer à l’érection d’un monde dont la seule direction est celle du Führerprinzip, soit ce qui équivaut à présent à l’air du temps et qui nous convainc de « balancer son porc », de nous excuser d’avoir été ce que nous étions ou ce que nous sommes, d’être blancs encore, d’être catholiques par exemple, anglais hors l’Union européenne, de demeurer homme ou femme, après quoi, excuses faites, nous promettrons à l’époque, maîtresse impavide, de deviner librement désormais ce qu’elle nous commande pour précéder ses attentes et gaver bientôt nos enfants d’hormones, comme c’est déjà le cas parfois, afin de nous assurer qu’ils ne soient pas genrés de trop.
Car le nazisme incarne déjà tout cela, la SS contre la SA, les païens contre les adeptes du christianisme positif, les athées schopenhaueriens contre les fanatiques d’occultisme, les collabos servant avec zèle leurs nouveaux maîtres qui pourtant juraient d’anéantir leurs peuples, le tout uniquement lié par la haine des juifs, soit l’air du temps de l’époque, tous ceux-là étaient comme nous libres d’obéir.
On peut trouver que le tableau bariolé des séides de l’époque, composé de racailles débiles et meurtrières en mode SA, secondés par des petits-bourgeois d’extrême gauche, sorte de petits SS composés de fhommes et de femâles, réclamant à la fois le sang et la bonne conscience, tranche avec l’uniformité des défilés nazis, ce serait faire trop grand cas des apparences, et oublier Auschwitz dont le chaos politique organisé est la répétition. Car le nazisme incarne déjà tout cela, la SS contre la SA, les païens contre les adeptes du christianisme positif, les athées schopenhaueriens contre les fanatiques d’occultisme, les collabos servant avec zèle leurs nouveaux maîtres qui pourtant juraient d’anéantir leurs peuples, le tout uniquement lié par la haine des juifs, soit l’air du temps de l’époque, tous ceux-là étaient comme nous libres d’obéir.
Rémi Lélian
LIBRES D’OBÉIR, LE MANAGEMENT DU NAZISME À AUJOURD’HUI Johann Chapoutot Gallimard 170 p. – 16 €
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