Que l'on évoque la dette des ménages ou la dette publique, on ne l'envisage souvent que sous l'angle des simples relations économiques, donnant raison à Marx, qui dans le Manifeste du parti communiste, critiquait ainsi la bourgeoisie : « Partout où elle a conquis le pouvoir, elle a foulé aux pieds les relations féodales, patriarcales et idylliques. Tous les liens complexes et variés qui unissent l'homme féodal à ses “supérieurs naturels”, elle les a brisés sans pitié pour ne laisser subsister d'autre lien, entre l'homme et l'homme, que le froid intérêt, les dures exigences du “paiement au comptant”. Elle a noyé les frissons sacrés de l'extase religieuse, de l'enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité petite-bourgeoise dans les eaux glacées du calcul égoïste ».
La dette fait partie de la condition humaine
Rétablir le caractère multiple et profondément humain de la dette est l'ambition de l'essai que publie Hubert de Vauplane (éditions Première partie). Sous le titre provocateur Endettez-vous ! qui répond par-delà les siècles à l'exhortation bourgeoise de Guizot Enrichissez-vous !, l'auteur, avocat associé dans un cabinet d'affaires américain et professeur associé à Sciences Po, remet en perspective la notion de dette en montrant qu'elle fait partie de la condition humaine.
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Nous sommes ontologiquement débiteurs, d'abord par rapport à Dieu qui nous a créés et nous a rachetés par la Croix de la dette du péché. « Car le salaire du péché, c'est la mort ; mais le don gratuit de Dieu, c'est la vie éternelle en Jésus-Christ notre Seigneur », dit saint Paul (Rm, VI, 23). Reconnaître la dette du péché est le préalable indispensable pour s'ouvrir à la miséricorde de Dieu et accueillir son salut. C'est vrai d'un point de vue individuel comme collectif car le péché originel est cette dette collective de l'humanité pécheresse à l'endroit de son créateur pour avoir troublé l'harmonie du cosmos par la démesure infinie du péché.
Dans ce contexte, on comprend que Nietzsche ait voulu affranchir l'humanité de cette culpabilité ontologique qui pèse sur l'homme. Dans la Généalogie de la morale que cite Vauplane, Nietzsche considère que l'athéisme « libèrerait l'humanité de toute obligation envers son origine, sa causa prima » de sorte qu'il ferait advenir une « seconde innocence » marquée par l'absence de toute culpabilité mais aussi de toute forme de reconnaissance. « Nos fautes sont des dettes contractées ici et payables ailleurs, écrit à juste titre Hugo. L'athéisme n'est autre chose qu'un essai de déclaration d'insolvabilité ». [...]
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