[qodef_dropcaps type=”normal” color=”red” background_color=””]m[/qodef_dropcaps]ardi 12 septembre 2017, la secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes — ce qui dans la presse anglophone se traduit par « Gender Equality Minister » —, Madame Schiappa, était l’invitée de Jean-Jacques Bourdin sur RMC et BFM TV. L’occasion d’indiquer les mesures à venir et une conception du monde non dénuée d’idéologie.
Bien sûr, son domaine de gouvernance n’est qu’un secrétariat d’État diront les esprits chagrins, voyant ici une brimade féminophobe. L’égalité entre « femmes et hommes » n’étant symboliquement affirmée dans l’intitulé que par le « É » majuscule officiellement imposé au mot « Égalité », et par la prééminence scripturaire donnée aux femmes. Elles viennent en premier. Louée soit l’Égalité. On me concédera le mot « premier », plutôt que « première ». Liberté de ton de l’écrivain — maître de son style en toutes circonstances.
On m’autorisera aussi à refuser les outrances proférées sur les réseaux sociaux à l’encontre de Madame Schiappa. Outrances du même ordre que celles qui accompagnèrent la ministre de l’Éducation Nationale Najat Vallaud-Belkacem dans le gouvernement précédent. Attaques ad hominem non argumentées, insultes et autres outrances concernant ces personnes ne tiennent pas de l’incorrection mais du défouloir souvent bête et méchant. C’est une lapalissade. Non que je veuille prendre la défense de Madame Schiappa ou de Najat Vallaud-Belkacem, dont je combats d’arrache-pied (si cette expression demeure légale) l’idéologie lib-lib. Plutôt que l’incorrection n’est pas une outrance mais une finesse de l’esprit et un avenir de l’intelligence.
L’incorrect, cette tradition parfaitement française, tenant à l’esprit intellectuel de la civilisation de laquelle nous sommes redevables, ne serait-ce que d’exister ici et maintenant, et non pas ailleurs. En Birmanie, par exemple. L’incorrect, ce pas de côté, cet état de l’esprit de poil à gratter qui met le mot là où cela dérange. Un état de l’esprit très français, que l’on pense à Jean Yanne, Desproges ou Coluche, et qui fut longtemps considéré comme un atout français – y compris au sein des « élites ». À la fois chevaleresque, populaire et aristocratique. Français, en somme. L’incorrection, un conservatisme nécessaire aujourd’hui. Conservatisme par nature révolté, tant le sens des limites semble s’estomper, à l’échelle quotidienne, tout comme celui de la limite, à l’échelle de notre relation à la planète. L’incorrection face aux idéologues en place ne consiste pas à déverser des tombereaux d’insultes mais à élever la barricade des limites. C’est pourquoi la rédaction de L’Incorrect ne craint pas de boire des communards entre deux séances de travail.
Les lois morales d’encadrement des consciences
Soucieuse d’Égalité et de réconciliation genrée, la secrétaire d’État Schiappa a donc pu parler à la nation par BFM interposée — pratique bée-fémiste coutumière autour du « DRH » de l’Élysée. L’expression « DRH » est de l’un de ses porte-paroles de campagne, entre les deux tours de la présidentielle, sur BFM. On ne la qualifiera donc pas d’outrancière. Après avoir expliqué le pourquoi et le comment des procédures de délation et de rééducation par l’État des entreprises récalcitrantes à sa conception de « l’Égalité » et affiché elle-même le nom des plus mauvais élèves, un peu comme l’on faisait en d’autres époques, Madame Schiappa a indiqué, face à ce bon vieux Bourdin, que les femmes et les hommes demandant trop souvent l’heure à d’autres femmes ou bien même à des hommes dans la rue seraient susceptibles d’être « verbalisés » (« verbalisé-e-s », pardon) pour « harcèlement », mesure discutable tant les nouveaux rapports hommes/femmes (pardon, « femmes/hommes ») sont entrés dans les mœurs, au point que plus aucun homme old school n’ose tenir la porte ouverte à une femme de crainte de se retrouver au commissariat.
Paris a perdu ce petit côté vintage qui ma foi ne lui enlevait pas tant de charme, et au sujet duquel il serait intéressant de demander aux femmes (et aux hommes, pardon) leur avis, par un bon vieux référendum des familles (de la République, pardon). Je parle ici évidemment de certains quartiers des principales villes françaises (du territoire commun, pardon). D’autres quartiers voyant se multiplier les cas de harcèlement depuis de nombreux mois, à l’exemple de celui de La Chapelle-Pajol à Paris, pour des raisons culturelles et ethniques autres que bassement masculines (non genrées de type masculin, pardon), mais ne pouvant être nommées, sous peine de tomber sous le coup de toutes les « lois morales » d’encadrement des consciences déjà en vigueur. Madame Schiappa a aussi annoncé l’augmentation du budget et la qualification de « grande cause nationale » du quinquennat pour son secrétariat, une PMA bientôt « ouverte à toutes les femmes », que « les femmes majeures qui vont chercher leurs enfants à l’école voilées ont le droit de le faire » ou que « le niveau du foot féminin n’a rien à envier à celui des équipes masculines ». Ce dernier point est anecdotique, même si l’avis de la secrétaire d’État n’est pas partagé par les gouvernements des pays où les femmes sont obligées d’être voilées pour aller chercher leurs gamines elles-mêmes voilées à l’école. Nombre de ces sujets mériteront amples analyses, réflexions, propositions et articles incorrects. Certains provoqueront même combat politique tant ils sont avant tout idéologiques.
Il y a lieu de s’inquiéter pour la liberté d’expression
Madame Schiappa a par ailleurs tenu à donner une définition du mot « extrémiste », employé il y a peu par le « DRH ». Selon elle, il y a des « extrêmes qui se rejoignent dans notre société, dans une vision assez réactionnaire, qui refusent le Progrès, qui refusent les forces du Progrès, et je pense que c’est à cela que le président de la République fait référence quand il parle des extrêmes ». Outre son côté années 80 du siècle dernier, cette définition a ceci d’étonnant qu’elle restreint l’extrémisme politique au refus d’un « Progrès » pourtant analysé depuis longtemps, y compris par des penseurs très peu incorrects, comme pouvant contenir en son sein bien des dérives autoritaires, sur le plan politique, et dangereuses, sur le plan écologique.
En sus, considérer que les « extrémistes » seraient définissables en tant que ceux refusant le « Progrès » demanderait de définir ce qui est contenu sous ce vocable. En l’état, le « Progrès » en question semble être un « Progrès » en forme d’argument d’autorité, tel que mis en œuvre par Madame Schiappa et l’actuel gouvernement. Ce qui revient à considérer que tout opposant à la politique du gouvernement, en tant que celui-ci serait le « camp du Progrès », est comme par enchantement un « extrémiste ». Dès lors, n’y-a-t-il pas lieu de s’inquiéter au sujet de la liberté d’expression, liberté fondamentale garantie par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, quand être un « extrémiste » signifierait refuser la conception du monde de Madame Schiappa, et ainsi risquer de tomber sous le coup du décret de loi du 3 août 2017 accentuant la répression contre tout propos jugé non « progressiste » – au sujet par exemple des questions dites de genre – et tenu dans un cadre « non public ».
J’insiste : non public. Le décret portant en particulier sur des propos tenus dans les entreprises et les établissements scolaires, auprès de la machine à café par exemple. Une phrase telle que « je ne suis pas certain que la PMA pour tous (pardon, pour tous et tout-e-s) soit un progrès » conduira peut-être des enseignants à voir leur nom affiché sur un panneau de l’infâmie, avant de devoir répondre de leurs propos délictueux devant la loi. Et donc de risquer de perdre leur emploi, le ministre de l’Intérieur ayant réaffirmé il y a peu l’obligation du droit de réserve pour tous les fonctionnaires sur les questions de politique et de société. Il ne sera donc pas outrancier mais simplement un tantinet incorrect de dire ici que l’on demande à la société française toute entière de fermer sa gueule devant les prétendues avancées progressistes d’un gouvernement se présentant, par Madame Schiappa interposée, comme seul grand détenteur de la grande vérité. Il n’est que plus étonnant, par contrecoup, de voir Madame Schiappa retweeter ceci sur son compte officiel, dans les minutes suivant sa conversation courtoise avec Monsieur Bourdin :
Comment ne pas voir le sexisme essentialiste induit par ce « Bref le tact et la détermination des femmes ! », lequel tombe sans aucun doute sous le coup de la loi du 3 août dernier. Je sors ?