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Père Amar : « Dans la souffrance, je peux faire l’expérience d’une joie très profonde »

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Publié le

18 décembre 2019

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amar

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Le Père Amar est prêtre catholique du diocèse de Versailles et cofondateur du Padreblog. L’an passé, une grave maladie l’a longuement immobilisé et l’a fait beaucoup souffrir, l’obligeant à interrompre totalement son ministère. Il livre de cette expérience un témoignage saisissant dans Hors service (Artège, 2019) où se mêlent humour, simplicité et foi profonde.

 

 

Lorsque vous êtes hospitalisé d’urgence, vous découvrez l’irruption du mal au plus intime de vous-même. Quelle a été votre réaction ?

 

Jusque-là, je n’avais jamais vraiment souffert physiquement, je ne connaissais la souffrance que de façon conceptuelle et surtout extérieure quand j’allais par exemple visiter des malades en tant que prêtre. J’ai dû attendre 45 ans pour comprendre qu’il y a deux façons d’appréhender la souffrance : il y a ceux qui en parlent et ceux qui en vivent.

J’ai dû attendre 45 ans pour comprendre qu’il y a deux façons d’appréhender la souffrance : il y a ceux qui en parlent et ceux qui en vivent.

Je l’ai vécue dans ma chair à trois niveaux : en tant qu’homme qui n’aime pas souffrir et se pose les mêmes questions que tout le monde, en tant que chrétien qui aspire à cette aventure spirituelle faite d’union au Christ par l’offrande de sa croix, et en tant que prêtre qui fait don de lui-même dans l’abandon du malade. Au jour de leur ordination, les prêtres sont allongés pour signifier l’offrande libre et amoureuse de leur vie. Et j’ai comme l’impression que Dieu m’a vraiment pris au mot.

 

Vous êtes pris en charge par le corps médical et découvrez le dévouement des infirmières et aides-soignantes. C’est quelque chose que vous ne soupçonniez pas, vous parlez d’ailleurs à cet égard d’une vocation qui consiste à soigner les corps comme un prêtre soigne les âmes.

 

Je connaissais jusque-là plutôt « le haut » de la pyramide médicale (médecins, chirurgiens, etc.). Mais quand on est à l’hôpital, ce sont surtout les aides-soignants et l’Auxiliaire en Soin Hospitalier (ASH) que l’on voit au quotidien. Ils font tous les actes qui ne sont pas à proprement parler médicaux (toilette des malades, changement des draps, etc.). Ils déploient des trésors de dévouement, d’attention à la personne et de bienveillance qui m’ont profondément touché. Il existe encore des métiers où l’on pressent que les personnes qui l’exercent le font pour autre chose que l’argent.

Il existe encore des métiers où l’on pressent que les personnes qui l’exercent pour autre chose que l’argent.

D’ailleurs, ces professions sont souvent mal payées. J’ai été marqué par une aide-soignante qui est venue changer quatre fois mon lit dans la nuit. Je me suis excusé : « Ne vous inquiétez pas, c’est mon travail ». J’ose le dire : il y a, dans les hôpitaux, d’authentiques figures de sainteté.

 

Dans le milieu médical, on côtoie beaucoup la mort et les religions sont très présentes au travers des aumôneries. Le fait religieux est non seulement présent mais aussi bien accepté ; il y a une certaine forme de laïcité apaisée, ce qui n’est pas le cas partout ailleurs dans la société.

 

Oui, le fait religieux est bien accepté parce qu’on pressent qu’il peut faire du bien au malade. Parce qu’il y a autre chose en lui à honorer qu’une dimension purement corporelle et que les religions renvoient à la dimension spirituelle de la personne. C’est également le cas dans le milieu militaire. Quand j’exerçais dans l’aumônerie aux armées, je fréquentais les aumôniers des quatre cultes présents (catholiques, protestants, musulmans et juifs) et la cohabitation était plutôt bonne.

 

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On pourrait aussi dire cela des prisons qui sont, tout comme l’hôpital, des lieux de privation de liberté. Lorsqu’on ne peut pas se déplacer pour pratiquer son culte, c’est le culte qui vient à nous. Pour ma part, avec mon nom à consonance juive, j’ai d’ailleurs eu la visite du rabbin qui croyait que j’étais l’une de ses ouailles…

 

Cette laïcité apaisée ne s’explique-t-elle pas en raison du fait qu’à l’hôpital comme à la guerre, on est au contact du réel c’est-à-dire de notre condition mortelle et non avant tout sous l’emprise d’une idéologie ?

 

Il n’y a pas plus réel qu’une personne qui souffre et demande de l’aide. Il y a une vraie, légitime et bonne conception de la laïcité qui n’est pas la séparation des ordres temporels et spirituels mais leur distinction et complémentarité.

Il y a une vraie, légitime et bonne conception de la laïcité qui n’est pas la séparation des ordres temporels et spirituels mais leur distinction et complémentarité.

Je l’ai bien vu quand j’étais curé de paroisse et rencontrais des maires de village à qui je disais : « Vous et moi, nous sommes au service des mêmes gens, vous les appelez habitants, moi paroissiens. Nous opérons chacun selon notre ordre, notre compétence et notre don de nous-mêmes ». C’est cela la juste laïcité. Et c’est ce qui se passe à l’hôpital, peut-être parce que justement c’est le réel qui commande.

 

Vous faites vôtre cette phrase de Claudel : « Dieu n’est pas venu supprimer la souffrance. Il n’est même pas venu pour l’expliquer, mais il est venu la remplir de sa présence ». Que voulez-vous dire par-là ?

 

Face au mal et à la souffrance, tout le monde se pose la question du « Pourquoi ? » Face à la souffrance, c’est une interrogation lancinante qui revient en permanence : quel est le sens de ma souffrance ? Comment un Dieu d’amour peut-il la permettre ? Et quel est le sens de la souffrance que je vois au quotidien dans le monde ? Je me suis obstinément refusé à poser cette question parce que c’est un engrenage mortifère qui ne trouve pas vraiment de réponse. Je me suis donc centré sur la question du « comment ? » : Comment vais-je vivre cette souffrance et comment Dieu va-t-Il m’aider à la vivre ?

« Dieu n’est pas venu supprimer la souffrance. Il n’est même pas venu pour l’expliquer, mais il est venu la remplir de sa présence » (Paul Claudel).

C’est à ce moment-là que je suis tombé sur cette phase de Claudel qui est admirable parce qu’elle nous ramène à l’essentiel, à savoir que le Christ est entré dans la souffrance en lui donnant un sens mystérieux, pour nous racheter et nous faire entrer dans sa gloire. Quand je dis cela, il n’y a chez moi aucune forme de masochisme ou de recherche de la souffrance ; celle-ci reste un mal que je cherche à éviter le plus possible. Mais je sais aussi qu’elle peut être un contexte dans lequel, je peux, avec la grâce de Dieu, faire l’expérience d’une joie très profonde.

 

Il y a une personnalité qui traverse tout votre récit, c’est Jean-Paul II. Vous qui êtes un prêtre de la génération Jean-Paul II, qu’évoque-t-il pour vous ?

 

Jean-Paul II est le Pape de ma génération : même si je suis né sous Paul VI, pendant 25 ans de ma vie, je n’ai connu que Jean-Paul II. Quand il est mort, j’ai eu l’impression de perdre mon père. En méditant sur sa flamboyance de prêtre, de globe-trotter, de pèlerin de l’absolu et d’athlète de la foi, deux choses m’ont profondément marqué : d’abord, Jean-Paul II était le Pape de l’hôpital. Il disait avec humour que la clinique Gemelli – où il a passé des semaines entières comme pape – était Vatican III, c’est-à-dire sa troisième résidence après Castel Gandolfo et le Vatican. Il a écrit une magnifique lettre apostolique intitulée Salvifici Doloris (1984) où l’on sent le poids de son expérience personnelle de la souffrance.

 

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Ensuite, on a tous vécu, de 2000 à 2005, sa lente et interminable agonie, aux yeux des caméras du monde entier. Son témoignage de foi, d’espérance et de courage pendant ces cinq années a été incroyable. Cet homme a finalement donné au monde une leçon encore plus forte quand il est apparu aux yeux de tous diminué par le poids de la souffrance. À ce moment-là, beaucoup de malades se sont sentis rejoints dans leur propre expérience. Pour ma part, son exemple m’a énormément aidé et je fixais souvent son image la nuit, que j’avais placée au dessus de mon lit d’hôpital.

 

Propos recueillis par Benoît Dumoulin

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