Des rues, des chiffres et des noms, Olivier Dard en a plein la tête. C’est normal, il vient de publier un livre, et pas n’importe lequel. 752 pages ! comme il aime à le glisser de temps à autre. « On a ratissé large… » Ce Février 34, fruit d’un travail de longue haleine aux côtés de Jean Philippet, d’un dépouillement systématique des archives, qui inscrit les violents affrontements du 6 dans le temps long de la crise des années 30, fera sûrement date. En restituant le sens de l’évènement pour les différents acteurs, en expliquant aussi son caractère profondément anarchique, l’ouvrage tord le cou aux clichés répandus par les gauches de l’époque, qui ont aujourd’hui acquis le statut de vérités officielles. Non, le 6 février n’est pas une tentative de putsch par des ligues fascistes, ni même la naissance du Front populaire ; eh toc, dans tes dents France Inter ! Pour apprendre ce qu’il est vraiment, on vous laisse vous procurer le petit pavé.
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Pour notre historien, ce livre n’est pas exactement comme les dizaines d’autres qu’il a rédigés ou dirigés. « Par rapport à une carrière scientifique, c’est… » Le mot exact fuit. Ce n’est pas un couronnement, comme on le suggère, parce qu’il espère faire encore mieux explique-t-il dans un rire, mais enfin, « c’est très important ». Le 6 février est à la croisée de bien des chemins intellectuels qu’arpente Olivier Dard depuis ses premiers travaux au tournant des années 90, celui des années 30 évidemment, et aussi ceux des crises politiques françaises et des droites nationales. C’est d’ailleurs sans doute pour ce dernier point que certains lecteurs de L’Incorrect connaissent peut-être l’historien, notamment auteur en 2013 d’une biographie remarquée de Maurras. Dard connaît les droites comme
peu en France, et en parle régulièrement dans les médias, parfois même dans des médias pas franchement fréquentables, comme L’Inco tiens. Pas étonnant, car cet intérêt intellectuel provient, Dard l’admet sans difficulté, de sa propre sensibilité politique, « de droite littéraire », et il évoque à ce moment des lectures adolescentes de Drieu.
En fait, universitaire c’est un peu comme youtubeuse beauté : on vit de son dada en faisant croire à tout le monde qu’il s’agit d’un vrai métier. Ne vous fiez pas à sa culture, à son intelligence ni même à cette preuve ultime de sérieux qu’est son costume: Olivier Dard est un superbe escroc, qui a réussi à conquérir un poste où chacune de ses passions peut se transformer en ouvrage collectif et autre colloque scientifique.
Pas étonnant, car cet intérêt intellectuel provient, Dard l’admet sans difficulté, de sa propre sensibilité politique, « de droite littéraire », et il évoque à ce moment des lectures adolescentes de Drieu.
Un ado de Strasbourg-Saint-Denis s’émerveillait des premiers films de Gabin, quelques années plus tard un professeur à la Sorbonne publie bouquin sur bouquin à propos de ces années 30 où il a rencontré son idole. Bien joué bonhomme. Pour l’avoir côtoyé d’assez près comme étudiant, on peut écrire sans trop d’hésitation que ledit professeur a le feu sacré, qu’il bouillonne de références, de livres, d’idées… Ça fait passer les cours assez vite. D’autant que le type est presque toujours de bonne humeur.
Parce qu’humainement, Dard appartient sans aucun doute à la catégorie des bons camarades. « Quand même, j’adore regarder un bon match entre copains. » Dès onze ans, il allait au Parc avec ses amis : « C’était une autre époque » avec des places à sept francs et sans insécurité. Dans le virage de Boulogne, il assiste en grandissant à des matchs mémorables, notamment cette remontada de la bande à Ginola et Weah contre le Real en 1993, dont l’évocation dresse des frissons sur la peau de n’importe quel amoureux du maillot rouge et bleu. Aujourd’hui, Dard ne soutient plus un PSG qu’il ne reconnaît pas depuis l’arrivée des Qataris – on vous avait prévenus qu’il était un peu réac’ sur les bords – alors il occupe son temps libre autrement. Il voyage avec sa femme. Beaucoup. Surtout en Amérique du Sud et dans la péninsule ibérique.
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Mon Dieu, ne le lancez pas sur ses expéditions estivales sur les routes brésiliennes défoncées avec madame Dard, vous ne le rattraperiez plus. En fait faites-le, vous vous coucherez moins bête. Car l’historien se jette toujours sur les pistes le livre à la main, sur les traces des explorateurs de jadis, comparant romans et récits de voyage avec ses propres expériences. Tiens, par exemple, saviez-vous qu’une colonie française a existé à Rio de Janeiro au XVIe siècle, et qu’on lui donnait le nom délicieux de France antarctique? Olivier Dard le sait lui. Il sait trop de choses ce type. Et c’est un gars de chez nous qui a fait son trou, et pas des moindres, en pleine Sorbonne. Ça commence à faire pas mal de raisons de le trouver franchement classe, non ?