En apprenant de Mathilde qu’elle était finalement parvenue à inviter celui que tous les salons s’arrachaient, l’inaccessible Benoît Marsac, et qu’il arrivait dans cinq minutes, E. ne put réprimer un sourire. Il n’avait jamais rencontré le fameux romancier voyageur dont il avait lu et relu les livres rares et puissants, et se demanda quels thèmes il pourrait aborder avec l’auteur de Boustrophédons. Sans doute serait-il un peu convenu de le lancer sur l’incipit de Tristes Tropiques, « je hais les voyages et les explorateurs. Et voici que je m’apprête à raconter mes expéditions »; et franchement banal d’évoquer la redécouverte du bateau L’Endurance par 3 000 mètres de fond sous la banquise antarctique, dont se faisaient l’écho toutes les chaînes d’info entre deux bombardements sur Odessa. Peut-être évoquer le sens de la nostalgie, écartèlement entre le temps et l’espace, sur laquelle Marsac avait écrit des pages inoubliables ? En apercevant Mathilde se lever puis revenir avec le romancier, un bouquet de lys à la main, E. constata avec inquiétude que Chantal de S. s’était extirpée du canapé et se dirigeait droit vers l’invité du jour. Il était pourtant peu probable qu’elle ait lu ses livres, Chantal s’interdisant de « consommer », comme elle ne manquait jamais de le dire, plus d’un roman par an, celui qui avait obtenu le Goncourt. [...]
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