En 2013, le généticien Axel Kahn suivait le chemin de Saint-Jacques, ralliant Conques à Livinhac-le-Haut en passant par Decazeville au mois de juillet. Dans une note de blog relatant la 49e étape de son pèlerinage, il décrivait une ville totalement livrée à l’abandon. « Cette cité, comme Nouzonville dans les Ardennes, est devenue l’un de ces lieux sans espoir où l’on prend conscience de ce qu’est la mort d’un territoire. […] D’emblée je fus surpris par le relatif délabrement de beaucoup d’édifices et surtout par la proportion des magasins fermés, un sur deux ou deux sur trois, marqués “à vendre” ou à un total abandon. Le malaise était aussi amplifié par le nombre anormalement élevé de personnes sans doute sous l’emprise de la boisson et dont les vêtements suggéraient un état avancé de désocialisation ».
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Comment lui donner tort ? Sept ans plus tard, Decazeville et l’ensemble du bassin minier semblent ne pas être sortis de leur torpeur. Les lieux sont effectivement frappés par la sinistrose. Un rapide tour à Aubin, cité-dortoir des mineurs du temps de l’extraction de charbon, et à Decazeville, naguère deuxième commune du département de l’Aveyron par le nombre d’habitants, n’aidera pas le déprimé à se sentir mieux. Dans la cuvette, les quelques habitants encore présents vivent dans le souvenir des houillères. Le voyageur de passage aura d’ailleurs l’impression d’être sorti du sud-ouest et de se trouver plongé dans une faille spatio-temporelle l’ayant conduit dans le Nord de la France ou dans l’Angleterre ravagée de Margaret Tatcher. Decazeville et le bassin minier sont semblables à l’Ukraine après la chute du mur ou à Cuba sans le soleil. Il n’y a pas de travail. Il n’y a quasiment plus d’Aveyronnais authentiques. Y est-on d’ailleurs encore en Aveyron ?
Ce discours réaliste avait vexé les élus locaux en 2013, déclenchant une mini-polémique relayée par La Dépêche du Midi. Il est pourtant honnête. La pauvreté est palpable dans ce bassin minier loin de tout. La misère n’est pas loin, de même que les drames sociaux. Au loin, on entend presque résonner les guitares désespérées de Joy Division, à ceci près que les classes ouvrières françaises biberonnées aux syndicats et au PCF n’ont jamais pu développer une contre-culture vivace susceptible de les raconter, de les faire entrer dans l’éternité que parfois l’art peut conférer. Personne n’a raconté les espoirs et les luttes des Decazevillois. La ville est morte sans bruit, comme l’ensemble du tissu industriel français. Ses lumières se sont éteintes et ne se sont jamais rallumées. Decazeville est le résultat de ce que la France sait faire de pire : l’abandon des terres par des jacobins cyniques, le socialo-communisme syndiqué le plus bête du monde.
Il n’y a même pas de champ de bataille sur lequel se recueillir pour honorer la mémoire de ceux partis au combat, tout juste reste-t-il la statue de François Cabrol, le fondateur des mines, sur la place de la mairie.
Quelle tristesse de tomber sur un endroit tel que celui-ci dans le département d’aventuriers qu’était et qu’est toujours l’Aveyron. Les Aveyronnais sont les Irlandais de France. On les trouve en plus grand nombre à Paris que dans leur petite patrie qu’ils n’ont jamais oubliée. Pionniers, ils ont fui une terre rude et difficilement cultivable, en comparaison notamment du Lot et du Tarn voisins, pour « monter » à Paris et bâtir un empire bistrotier. Premiers parmi les Apaches de Paris, ils animaient avec leurs frères cantalous les musettes que chérissait Aristide Bruant, narrant leurs périples au son de la cabrette. Ils régalaient les Parisiens avec l’estofinade au stock-fish, le farçou, les fritons, le chou farci et les beignets de cervelle. Certains ont franchi l’Atlantique pour s’installer à San Francisco, où ils montèrent des blanchisseries, puis des cabarets et des hôtels. Fortune faite, ils revenaient triomphalement au pays, couverts de vêtements de marques et de fourrure, offrant des cadeaux et des héritages à qui aurait le courage de tenter pareille Odyssée. [...]
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