Neuromancien, de William Gibson
Le livre qui a fondé le genre, le Guerre et Paix du cyberpunk, c’est bien sûr Neuromancien : tout Gibson est déjà là, et avec lui toute l’essence du mouvement. La célèbre phrase d’ouverture annonce le ton : « Le ciel au-dessus du port était couleur télé calée sur un émetteur hors service ». Gibson emprunte autant à la beat generation qu’à sa propre expérience d’informaticien et modèle un futur à la fois dystopique et réaliste, dans une langue poétique hantée par l’électricité et la théorie des flux. Gibson invente carrément la notion de « matrice » et met le hacker au centre de la contre-culture, prophétisant les Anonymous et autres lanceurs d’alerte harcelés par les services de renseignement. Mené à un rythme ébouriffant, bourré d’inventions et de dialogues truculents, ce livre n’a rien perdu de son mordant et a même gagné avec les années une patine délicieusement synthwave.
Dr Adder, de K.W Jeter
Sans doute le roman le plus fou et le plus désespéré de cette sélection : interdit de publication pendant dix ans puis sorti quelques mois avant Neuromancien, Dr Adder est le premier roman d’un parfait inconnu, encore étudiant, mais il fait l’effet d’une bombe à fragmentation : K.W Jeter, 22 ans à peine, déglingue déjà tous les poncifs du style et fait le portrait d’une Californie au bord du précipice, ultra violente et nihiliste, tout en fusillant au passage ses propres idoles – Philip K. Dick se paye même le luxe d’une apparition sous les traits d’un animateur radio libidineux. Le Dr Adder du titre, c’est un chirurgien fou qui mutile et opère des prostituées pour les accorder aux fantasmes de leurs clients, et autour duquel gravite toute une faune hallucinée : gamins-snipers, poulets aux hormones doués de compassion, télévangélistes allumés, l’univers de Jeter reste malgré tout furieusement cohérent et d’une noirceur inégalée à ce jour. Ici, l’argument scientifique s’en tient au théâtre de la cruauté et on est plus proche d’un Burroughs connecté que d’un Gibson. Essentiel et intolérable à la fois.
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Tous à Zanzibar, de John Brunner
Écrit en 1969, le roman-fleuve du britannique John Brunner obtient immédiatement le prestigieux prix Hugo et suscite une lame de fond dans le petit monde de la SF : bien avant l’apparition à proprement parler du mouvement cyberpunk, Brunner en pose les bases avec une description captivante et tout à à fait probable de l’avenir de nos sociétés : surpopulation, médiacratie, eugénisme et intelligence artificielle, tout est déjà là dans ce roman-choral où les destins de quelques outcasts se croisent jusqu’à la déflagration finale. Une œuvre-somme, prophétique, ultra ambitieuse, et qui eut le mérite de mettre un terme à toute la SF un peu datée des années 60 – si l’on excepte le grand Dick.
Mozart en verres miroirs,de Bruce Sterling
Une excellente anthologie de nouvelles qui montre bien toute l’étendue du mouvement cyberpunk, thématiquement ou stylistiquement. Les stars du genre (Gibson, Pat Cadigan, Bruce Sterling…) y croisent des plumes un peu oubliées mais tout aussi recommandables : on citera le mathématicien Rudy Rucker qui brode une étrange fantaisie métaphysique autour de la vie d’Houdini, John Shirley qui dépeint dans Freezone toutes les dérives du communautarisme ou encore l’excellente nouvelle Solstice de James Kelly qui prophétise la culture des rave parties et l’usage récréatif des drogues de synthèse par toute une jeunesse un peu trop dans le vent. Pas tant cyberpunk que « neuromantiques », comme le dit Sterling dans la préface, ces nouvelles donnent un excellent instantané de l’état d’esprit qui animait alors les écrivains de SF, entre célébration futuriste et inquiétude viscérale.
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