Depuis des années, E. et ses proches avaient pris l’habitude de se retrouver pour un apéritif à la terrasse du Nemours, derrière le Palais-Royal, le dimanche précédant la rentrée – histoire de repartir d’un bon pas, de partager équitablement les derniers potins et d’exhiber sans vergogne les bronzages plus ou moins caramélisés acquis de haute lutte sur les côtes bretonnes ou les plages de la Méditerranée. Ce dimanche-là, réchauffement climatique oblige, la canicule aussi était au rendez-vous, justifiant les tenues excessivement légères directement sorties des bagages que l’on venait de défaire, comme si pour quelques instants encore, les vacances se prolongeaient nostalgiquement sous d’autres cieux.
« Alors, laissez-moi deviner, lança Philippe. Pour E., comme d’habitude, ce sera une mauresque, avec un supplément glaçons. Pour Zo’, un Bandol rosé, assorti à son polo, et pour Mathilde, dont la ravissante robe Bottega Veneta indique où elle a passé les dernières semaines, un Spritz, presque aussi bon que ceux qu’elle buvait encore avant-hier à la terrasse du Florian. Mais dites-moi, Lucien et Chantal ne devaient pas être des nôtres ? Ils nous font faux bond, cette année ?
– Non non, répondit E., Lucien m’a appelé pour confirmer ce matin de l’aéroport d’Alicante où ils étaient en train d’enregistrer leurs bagages de luxe, le temps de passer chez eux déposer tout ça et prendre une petite douche. Ah ! Tiens ! Justement ! Quand on parle du loup !
– Il a un drôle de look, ton loup ! commenta Zo’ en piochant d’une main gracieuse dans le ramequin de biscuits apéritifs.
Lorsqu’une question n’est pas traitée, il faut s’en remettre au bon sens, qui constitue au fond la véritable colonne vertébrale de la politesse
De fait, malgré la chaleur torride, Lucien et Chantal de S. portaient des vêtements d’hiver déjà trempés de sueur et embaumant la naphtaline.
– Vous en faites une tête ! Vous avez cassé votre thermomètre ? reprit Zo’ en veine de cruauté.
– Très drôle. Non, on nous a volé notre valise Rimowa à l’aéroport – et en plus, tous nos vêtements d’été se trouvaient dedans.
– Ah, c’est ballot ! reprit E. Mais ça ne vous était pas déjà arrivé ? [...]
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