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Lorsqu’ils inauguraient en 1959 le premier ministère de la Culture de l’histoire de France – alors dénommé ministère des Affaires culturelles –, le général de Gaulle et André Malraux prenaient-ils conscience qu’ils suivaient les pas du Roi-Soleil et de son ministre Jean-Baptiste Colbert ? Et l’école républicaine prend-elle aujourd’hui la mesure de l’importance de l’héritage royal dans nos pratiques culturelles ?
« LA CULTURE, C’EST MOI » : LOUIS XIV, PREMIER MÉCÈNE DE FRANCE
Après l’échec de la Fronde, marqué par l’entrée triomphale de Louis XIV à Paris en octobre 1652, les princes et l’Église catholique ne contestent plus l’autorité du Roi, qui entend désormais se faire tuteur incontesté de l’espace socioculturel. Phénomène sans précédent par son caractère exceptionnel, son ampleur, ses enjeux futurs, le Roi se saisit de la direction des arts et veille à ne laisser à personne d’autre que lui le soin de décider des grandes orientations culturelles du Royaume.
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Or, il peut paraître difficilement concevable pour un élève – en particulier un lycéen issu des filières artistiques et littéraires, susceptible de s’orienter vers les métiers de la culture et du patrimoine – de faire l’impasse sur une période historique qui n’est pas pour rien dans l’élaboration de nos politiques culturelles modernes : c’est en effet le Roi-Soleil qui inaugure à l’échelle de l’État l’administration et la gestion financière de ce secteur.
Afin de promouvoir l’expansion artistique dans tout le Royaume, Louis XIV dessine les contours d’un vaste programme de réformes en s’entourant d’artistes et d’hommes de lettres.
ART ET POLITIQUE
En 1663, Charles Perrault est nommé contrôleur général de la surintendance des bâtiments, arts tapisseries et manufactures de France qui succède à la surintendance des bâtiments voulue par François 1er. L’écrivain devient ainsi le principal conseiller de Colbert, qui prend dès 1664 les rênes de ce qui peut décidément s’apparenter à un ministère des arts architecturaux. Quatre millions de livres sont désormais consacrés chaque année à la maintenance des biens royaux, bâtiments et résidences.
Comment ne pas préciser aujourd’hui, durant un cours d’histoire ou d’histoire de l’art destiné à des lycéens, que c’est en 1663 qu’est créée pour la première fois une économie de développement du patrimoine architectural et artistique français, semblable à celles qui régissaient le champ culturel au XXème siècle ? C’est en effet dans cette même perspective de stimulation de l’essor culturel par l’économie étatique que se situe, par exemple, l’initiative malrucienne d’encourager l’excellence et la professionnalisation artistiques en créant la Direction du théâtre, de la musique et des spectacles en 1961.
Loin de réduire le Roi à un monarque tyrannique et dépensier – image caricaturale et désuète –, il serait du devoir de l’école de souligner et de développer son triple statut d’homme d’État, d’artiste et de mécène, un statut décidément pas inconforme à nos mœurs institutionnelles contemporaines.
L’implication de Charles Perrault dans les finances culturelles du Royaume de France ne montre-t-elle pas corrélativement qu’il faut bien se garder de désincarner les personnages de l’Histoire en les situant sous une seule et unique étiquette ? Loin de réduire le Roi à un monarque tyrannique et dépensier – image caricaturale et désuète –, il serait du devoir de l’école de souligner et de développer son triple statut d’homme d’État, d’artiste et de mécène, un statut décidément pas inconforme à nos mœurs institutionnelles contemporaines.
De même, en limitant Perrault à l’auteur des Contes, l’école appauvrit une autre figure emblématique de l’artiste mêlé à la vie de l’État ; à l’instar de Perrault, le peintre Charles Le Brun est nommé en 1663, directeur de l’Académie royale de peinture et de sculpture. En 1848, le poète Alphonse de Lamartine deviendra chef du gouvernement provisoire de la Seconde République ; quelques années plus tard, l’écrivain et cinéaste Frédéric Mitterrand accèdera au poste de ministre la Culture et de la Communication… confirmant là cette spécificité constante de la société française qui consiste, pour une personnalité, à cumuler plusieurs fonctions dans les sphères de l’art et de la politique, et qui connaît, sous l’Ancien Régime de Louis XIV, sa première heure de gloire.
LE RÈGNE DE LOUIS XIV OU L’ÂGE D’OR DES ACADÉMIES
Le cas des Académies, que l’on vient de mentionner plus haut, est très représentatif de l’inscription du passé monarchique dans l’espace social républicain.
1663 est une année que l’on doit tenir comme référence : en plus de sa nomination à la surintendance, Perrault devient secrétaire de séance de la Petite Académie ou Académie des inscriptions et belles-lettres, qui fait aujourd’hui partie de l’Institut de France. Sait-on bien dans les classes lycéennes que c’est sous le règne de Louis XIV que voient le jour pour la première fois ces Académies qui rassemblent collections, expositions et logements d’artistes, véritables fleurons du prestige culturel français – l’Académie de musique en 1661, l’Académie de France à Rome en 1666, celle d’architecture en 1671 – pour n’en citer quelques-unes ?
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La création et les rôles de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, constitueraient par exemple un sujet majeur d’histoire de l’art. Mais aujourd’hui, cette Académie a disparu, tout comme les deux autres Académies du quai Conti inaugurées sous l’Ancien Régime : toutes trois sont regroupées le 26 octobre 1795 – un jour avant la fin de la Convention nationale1 – en un Institut de France, symbole actuel du rayonnement culturel de la République : comment en est-on arrivé là ? Comment s’est opéré le premier passage d’un mécénat étatique royal à un mécénat étatique républicain dont les fondements sont toujours en œuvre ? Voilà un sujet d’éducation à la vie citoyenne et institutionnelle qui relève à la fois de l’histoire et de l’histoire de l’art.
ESQUISSE D’UNE RÉFORME STRUCTURELLE DU LYCÉE
Il semblerait important de garder à l’esprit qu’il existe un contrat implicite entre l’art, l’histoire et la politique ; trois aspects fondamentaux de la vie en société qui suffiraient à justifier l’interdisciplinarité à l’école. Dans cette perspective, les programmes d’histoire, d’histoire de l’art et de littérature devraient être davantage croisés, allégés et recentrés sur l’apprentissage du lien nécessaire entre le passé et la société contemporaine.
C’est donc une imperfection structurelle de l’enseignement que l’on se propose, modestement, de soulever dans cet article : au collège comme au lycée, l’approche thématique de programmes « mondialisés » qui opèrent trop d’impasses sur l’histoire nationale risque à terme de desservir les élèves : comment comprendre et apprécier les grands romans de Stendhal et Victor Hugo si l’on réduit Napoléon 1er à un « petit » despote belliqueux et revanchard ?
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Et, pour en revenir au sujet que nous venons d’évoquer , comment comprendre, en tant qu’apprentis citoyens, la situation et la gestion culturelles de la France contemporaine, si l’on oublie que la République est née « dans » la Monarchie ?
Si l’enseignement de l’histoire de France suscite aujourd’hui un sentiment d’indifférence mêlé à celui d’un manque d’exotisme, c’est peut-être parce qu’il ne faut plus compter uniquement sur un enseignement théorique : il est permis d’espérer que si les élèves étaient, dès le collège, conduits plus souvent sur les lieux où s’est « faite » l’histoire artistique et culturelle française, et ce dans un esprit pédagogique de sensibilisation à son propre patrimoine, ils seraient eux-mêmes amenés à « voir » cet héritage et, à la lumière d’explications adéquates en fonction de leur âge, à établir un lien entre ces traces du passé et eux-mêmes, individus du présent : c’est peut-être après tout sur cette idée d’une meilleure « visibilité » du patrimoine artistique et culturel au sein du paysage scolaire qu’il faudrait davantage insister de nos jours.
Roméo Fratti
1La première forme « républicaine » de gouvernance en France (1792-1795)
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