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Voyage pour temps de quarantaine : la peste d’Athènes

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Publié le

19 mars 2020

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Périclès

Avec son écrit intime Voyage autour de ma chambre, Xavier de Maistre comptait venir à bout de l’ennui d’un homme condamné à une quarantaine. Puisque nous sommes en guerre, lisons les pages célèbres de l’historien Thucydide qui, dans le livre II de son Histoire de la guerre du Péloponnèse, a fait, le premier, un tableau — historique et transhistorique— d’une cité en proie à une épidémie de grande ampleur.

 

Pourquoi remonter à celui qu’on reconnaît comme le « père de l’Histoire ? » Parce que le mot « histoire » signifie étymologiquement « enquête » et que le premier « historien » à mener une « enquête » sur un fait historique majeur auquel il donne un sens, est Thucydide. Et s’il est, également, le père de l’Histoire, c’est qu’il a voulu que son enquête serve à la postérité, qu’elle soit une « acquisition pour toujours ». Prendre du recul en remontant à la source des idées est donc une nécessité.

 

Arrêtons-nous d’abord au tableau que l’historien fait de la peste. Nous sommes au siècle de Périclès, en 451 avant JC. Athènes est en guerre, depuis un an, contre Sparte. Venue du Pirée avec l’exode des campagnards vers la ville haute, l’épidémie se développe avec une rapidité foudroyante. La ville cumule donc deux ennemis : l’ennemi extérieur, visible, et un ennemi intérieur, le virus, déroutant, tout aussi visible, puisqu’il fait de chaque citoyen un ennemi en puissance. Terreur et impuissance s’emparent de tous.

 

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Témoin direct et future victime du fléau, Thucydide décrit avec une précision clinique les caractères de cette maladie et ses effets psychologiques sur les citoyens : la fièvre obsidionale, l’égoïsme, la perte du sens moral et religieux, mais aussi le courage et l’honneur, le désintéressement, l’entraide envers ceux que l’on appellerait à présent « les plus fragiles ». L’historien note aussi, avec finesse, que les plus dévoués envers les autres sont ceux qui, ayant échappé à la maladie, se croient immunisés. Analogies et différences sont visibles entre cette époque et la nôtre : un virus inconnu qui se propage par contact, les fakes news ( le bruit courait que les Lacédémoniens avaient empoisonné l’eau des citernes ), la famine, là, et la panique alimentaire, ici, l’exode de nos concitoyens, de la ville vers leur maison de campagne, qui peut être fatal, tout comme fut fatal, au Vème siècle, l’afflux de ceux de la campagne vers la ville haute, voulu par Pérclès pour sauver Athènes. Tout y est jusqu’à « l’immunité acquise » chère aux épidémiologues,  sur laquelle Boris Jonhson misait crânement, à laquelle il a dû renoncer !

Témoin direct et future victime du fléau, Thucydide décrit avec une précision clinique les caractères de cette maladie et ses effets psychologiques sur les citoyens.

En tout cas, c’est un grand corps malade, en proie à une conjonction de maux inédits que peint l’historien en évoquant le destin collectif d’une cité aux prises avec la mort. L’homme au pouvoir, c’est Périclès : élu stratège dans l’enthousiasme, désavoué par un peuple versatile, néanmoins réélu, il mourra de la peste. Avec sa mort s’achève le siècle brillant qui porte son nom et commence le déclin de la puissance athénienne minée par son impérialisme. Le même Périclès, à qui Thucydide prête un discours resté célèbre : un  éloge de la démocratie athénienne vibrant mais aussi lucide sur les maux dont elle souffre. Tout cela est lisible, en grec et en français, sur internet : pourquoi se priver de culture historique ? Car deux autre fléaux, ignorés des peuples qui n’avaient pas, comme nous « une espérance de vie longue » guettent nos contemporains : l’ennui et l’ignorance.

 

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Les leçons politique et morale du « tableau de la peste » de Thucydide sont nombreuses. Un lecteur de bon sens y verra, à l’heure du transhumanisme à tout crin, le pied de nez formidable de la Nature (gardons la majuscule) aux prétentions humaines. Nous parlons d’utérus et d’intelligence artificiels et sommes à la botte d’un virus contre lequel nous sommes impuissants. Nous nous faisions des bises à tout bout de champ — véritable épidémie qui touchait d’ailleurs nos politiques—et nous nous apprêtions à réaliser les désirs individuels les plus fous alors que nos hôpitaux manquent de moyens pour notre survie. Nous consommions, hier, à tort et à travers : aujourd’hui nous entrons en récession. Hier, sur BFMTV, Xavier Mariette a réitéré à Emmanuel Macron l’appel pressant, maintes fois lancé à ses prédécesseurs : « Monsieur le Président, il faut de l’argent pour l’hôpital ! » L’heure est grave : ce soir, est décrété l’état d’urgence sanitaire. Et nous entrons en récession économique.

Si Thucydide est resté célèbre, c’est qu’il ne s’est pas contenté de décrire le fléau mais qu’il a analysé, avec rigueur, les raisons, les causes, les conséquences de l’impérialisme athénien qui perdra Athènes et dont il prend la mesure dans des circonstances dramatiques.

Si Thucydide est resté célèbre, c’est qu’il ne s’est pas contenté de décrire le fléau mais qu’il a analysé, avec rigueur, les raisons, les causes, les conséquences de l’impérialisme athénien qui perdra Athènes et dont il prend la mesure dans des circonstances dramatiques. Quand l’heure sera venue, Il nous faudra bien tirer des leçons pratiques d’une mondialisation tous azimuts dans un monde déboussolé, et de sa gouvernance. Déjà, le mot « frontière » retrouve droit de cité. Qu’il soit permis de faire une lecture symbolique de ce qui arrive. Et si, comme l’incendie de Notre-Dame, cette quarantaine était l’occasion de nous délivrer de l’apesanteur mortelle dans laquelle nous vivons, et de revoir, s’il en est encore temps, notre vision du monde ? De ne plus être ballotté à tout vent d’inconscience qui nous fait obéir aux idéologies les plus folles ? La culture et le savoir sont des boucliers. Et si cette quarantaine nous forçait à voir, en face, la démesure de l’homme qui le conduit à sa perte, que les Grecs appelaient hybris, à laquelle ils faisaient la part si belle dans leurs tragédies ?

Et si cette quarantaine nous forçait à voir, en face, la démesure de l’homme qui le conduit à sa perte, que les Grecs appelaient hybris, à laquelle ils faisaient la part si belle dans leurs tragédies ?

La déclaration, dans le Monde, d’Agnès Buzyn a créé la sidération. L’ex ministre de la Santé aurait prévenu, mi-janvier, l’exécutif, de la gravité de l’épidémie. Pour elle, les élections, impossibles à tenir, étaient donc « de la mascarade » face au tsunami qu’elle annonçait. L’heure n’est pas aux règlements de compte. Mascarade ou pas, il faut des masques pour tous. Dans son allocution récente, Christophe Castaner nous a enjoint de rester chez nous. Obéissons et restons-chez nous. Lisons Thucydide  (oh, quelques pages… ) et L’Incorrect !  Et pas de bise ! Sinon, on verbalise.

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