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Espagne : le gouvernement contre la loi ?

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16 janvier 2020

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Le nouveau gouvernement espagnol lâche la bride aux indépendantistes pour s’assurer une majorité au Parlement.

 

Le mardi 7 janvier dernier, dans un climat très houleux et dans un contexte de forte division parlementaire (167 voix pour, 165 contre et 18 abstentions), Pedro Sánchez (Parti socialiste ouvrier espagnol) a été reconduit au poste de président du gouvernement espagnol grâce à une majorité relative. Il a ainsi pu mettre en place son gouvernement de coalition (le premier en Espagne depuis 1977) avec la gauche « radicale » d’Unidas Podemos, agissant au passage exactement dans le sens contraire de ce qu’il avait annoncé durant la campagne. En octobre et novembre 2019, il avait en effet expliqué que jamais il ne s’allierait avec les hommes de Pablo Iglesias et que jamais il ne ferait dépendre son futur exécutif des séparatistes catalans, ce qui est le cas aujourd’hui. Les électeurs sociaux-démocrates se sont peut-être sentis floués à l’arrivée mais Sánchez n’en est pas à son premier virage idéologique…

 

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Quoi qu’il en soit, la permanence de l’homme fort du socialisme espagnol au palais de La Moncloa (résidence officielle du président du gouvernement, à Madrid) s’est faite au prix de concessions considérables à la Gauche républicaine de Catalogne (ERC) et au Parti nationaliste basque (PNV), en échange de leurs voix ou de leur abstention lors du vote du 7 janvier. Le transfert de nouvelles compétences-clé à Vitoria (notamment en matière carcérale) et à Barcelone (avec la mise en place d’une table de négociations qui place quasiment l’autonomie catalane au même rang que le gouvernement central) a été vertement critiqué – à juste titre. Les inquiétudes concernant l’unité de l’Espagne se sont intensifiées dans une bonne partie de la société mais également à droite. Le Parti populaire (PP), Vox et Citoyens (Cs) ont, à ce sujet, parlé d’une seule et même voix, conjurant un Pedro Sánchez sourd à leurs imprécations de ne pas s’allier avec les sécessionnistes.

Les premières décisions de ce gouvernement de 23 membres (un quasi record outre-Pyrénées) semblent aller dans la pire des directions, avec un lâchage en règle des forces de l’ordre nationales en Navarre et en Catalogne. À ces mesures polémiques s’ajoutent d’ores et déjà une nomination extrêmement polémique, celle de l’ancienne ministre de la Justice, Dolores Delgado, au poste de procureur général de l’État. Cette fonction essentielle du système judiciaire espagnol devrait ainsi tomber entre les mains d’une personne tout acquise à l’idée de « déjudiciarisation » chère à Pedro Sánchez. En matière juridique, l’idée centrale de l’exécutif est en effet claire : empêcher la justice d’agir contre les délits commis par les dirigeants séparatistes catalans, dont le soutien est indispensable pour gouverner dans la durée. Et tant pis si, au passage, la magistrature exprime son profond malaise face aux attaques verbales et politiques dont elle est victime de la part d’un cabinet de plus en plus autoritaire, qui a déclaré une guerre ouverte aux juges – ce sont quasiment les termes employés par le deuxième vice-président, Pablo Iglesias, en charge des questions sociales.

 

Que restera-t-il donc de l’empire de la loi et de l’État de droit après le passage de Pedro Sánchez ? C’est la vraie question en suspens.

 

Pour le reste, l’on est en droit de se demander si le progressisme économique et social sera vraiment au cœur de l’action du gouvernement entré en fonction ce 14 janvier. Officiellement, cinq ministres issus d’Unidas Podemos ont hérité d’un portefeuille ministériel. Outre Iglesias, l’on retrouve sa compagne, Irene Montero, à l’Égalité ; Yolanda Díaz au Travail ; Alberto Garzón à la Consommation ; et Manuel Castells (sociologue de renom, partisan affiché du sécessionnisme catalan) aux Université. Pourtant, ces postes sont dilués dans un exécutif de 23 membres, comme nous le signalions plus haut, où les postes cruciaux ont été donnés à des fidèles de Sánchez. Il s’agit généralement des technocrates très orthodoxes dans leur manière de concevoir l’économie et la politique : Nadia Calviño, troisième vice-présidente, en charge des questions économiques ; Arancha González Laya aux Affaires étrangères ; José Luis Escrivá à la Sécurité sociale ; María Jesús Montero aux Finances ; ou encore Carolina Darias à la Politique territoriale.

Plus fondamentalement, Pedro Sánchez cherche à éviter de déléguer et d’avoir à rendre des comptes. Il a ainsi fait décaler le Conseil des ministres, qui se déroulait traditionnellement le vendredi, au mardi (ce qui entrave le calendrier du contrôle parlementaire) et centralise l’essentiel de sa politique en une seule personne. Il s’agit de son « gourou », de son principal spin doctor, Iván Redondo, qui aura la main haute sur les grandes décisions économiques et financières.

 

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L’on peut donc s’attendre à un raidissement du pouvoir en place en Espagne à l’égard de tous ses opposants, qu’ils soient politiques ou médiatiques. Au contraire, une bienveillance exagérée sera de mise à l’égard de ceux qui enfreignent la loi pour obtenir des bénéfices politiques indus, à l’instar des indépendantistes.

Que restera-t-il donc de l’empire de la loi et de l’État de droit après le passage de Pedro Sánchez ? C’est la vraie question en suspens.

 

Nicolas Klein

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