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Retour sur la vie déjantée d’un jeune mort.
On avait presque oublié que cet agitateur public avait pris de l’âge dans un pays où l’espérance de vie recule. Edouard Limonov est mort à Moscou le 17 mars à l’âge de 77 ans des suites d’une opération. En France, son nom n’est devenu familier au grand public épris de littérature qu’avec la parution du roman biographique que lui a consacré Emmanuel Carrère en 2011 et qui fut récompensé par le prix Renaudot. Personnage grave et burlesque à la fois, comme il sied à un artiste russe, Limonov fut souvent caricaturé en « rouge brun », appellation en vogue dans les années 1990, alors qu’il assumait parfaitement l’étiquette de national-bolchévique, héritée de la Révolution conservatrice allemande et du positionnement d’Ernst Niekisch (1889-1967) qui s’opposa clairement au nazisme et fut condamné à la prison à la perpétuité en 1939 avant de se rallier au régime communiste de la RDA.
DES BAS-FONDS NEWYORKAIS À SAINT-GERMAIN-DES-PRÉS
Né en 1943, en pleine guerre germano-soviétique, Edouard Limonov, passionné de littérature (il a très tôt lu Jules Verne, Eugène Sue et Alexandre Dumas), de samizdats et de poésie parvient en 1974 à se faire expulser vers les Etats-Unis pour son attitude trop bohème, voire délinquante, aux yeux du pouvoir soviétique. Fasciné par la musique de Lou Reed qui, avec l’album Berlin, vient de toucher au sommet de la noirceur, Limonov s’abîme dans les bas-fonds de New York, multipliant les relations homosexuelles avec des clochards.
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En 1979, il contera ces années d’errance en terrain capitaliste dans Le poète russe préfère les grands nègres qui obtient un succès international. Délaissant les Etats-Unis, Edouard Limonov choisi de s’établir en France. C’est à Paris que Thierry Marignac, lui aussi promis à un bel avenir d’écrivain inclassable fait sa rencontre en 1981. Ils boivent et ils boiront beaucoup. L’année suivante, la publication de Journal d’un raté achève d’en faire une personnalité en vogue à Saint-Germain-des-Prés. Comme Marc-Edouard Nabe à l’époque, Limonov entreprend de secouer la France mitterrandienne avec une ligne de conduite assez simple : la provocation littéraire.
LA PLUME ET LA KALASH
Il écrit dans L’Idiot international, relancé en 1984 par Jean-Edern Hallier et Le Choc du mois, mensuel nationaliste créé en 1987. L’effondrement du système communiste lui permet de rentrer en URSS dès 1989. En rejoignant le combat des Serbes dans la guerre civile qui ravagea l’ex-Yougoslavie, Edouard Limonov franchit les limites de l’excentricité autorisée par les gardiens vigilants de la bien-pensance occidentale. En 1992, il prend même un malin plaisir de se faire filmer avec Radovan Karadzic, président des Serbes de Bosnie, au milieu des positions militaires dominant Sarajevo. Allant jusqu’à tester une mitrailleuse, il intègre ainsi la petite mais charmante famille des écrivains devenus des amis indéfectibles de la Serbie, celle qui va de Jean Dutourd à Peter Handke en passant par Patrick Besson.
Edouard Limonov restera dans nos mémoires comme un slavophile punk, incontrôlable et incorruptible. Il avait pour lui le sens de l’honneur et de la fidélité aux peuples martyrs.
Exception faite des habitués de la librairie L’Age d’Homme et du Centre culturel serbe, le public français l’oublie peu à peu. En Russie il se rapproche du philosophe Alexandre Douguine, seul héritier crédible de Jean Parvulesco, avec qui il fonde le Parti national-bolchévique, avant de rompre avec le promoteur de l’Eurasisme et d’atterrir en prison en 2001 pour trafic d’armes et tentative de coup d’Etat au Kazakhstan. Il purge deux années de prison. S’ensuit une période assez troublée consacrée à des affrontements sporadiques avec Douguine pour le contrôle du courant national-bolchévique russe et plus généralement avec le pouvoir russe aux mains de Vladimir Poutine.
INCONTRÔLABLE ET INCORRUPTIBLE
Edouard Limonov restera dans nos mémoires comme un slavophile punk, incontrôlable et incorruptible. Il avait pour lui le sens de l’honneur et de la fidélité aux peuples martyrs : « L’Europe entière a soutenu les séparatistes de Yougoslavie, Croates et Musulmans. Personne n’a soutenu la Serbie. Jusqu’au jour de ma mort je pourrais me souvenir de mon comportement avec fierté. » C’est déjà beaucoup pour un seul homme.
Par Jérôme Besnard
À lire :
L’excité dans le monde des fous tranquilles, chroniques 1989-1994, Bartillat, 2012.
Et ses démons, Bartillat, 2018
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