A l’heure où la crise sanitaire ringardise certaines fictions paranoïaques et rend la science de l’avenir plus que jamais nécessaire, la question se pose avec une nouvelle acuité de savoir prédire l’imprévisible. Comment faire face à une post-modernité hystérique et ultra-segmentée dans ses moyens technologiques qui change ainsi la donne en se montrant capable de nous précipiter à chaque instant dans un nouveau paradigme ? C’est dans ce contexte que le ministère des Armées, via une nouvelle entité consacrée à l’innovation (l’AID) en collaboration avec l’université Paris Sciences et Lettres, a fait appel à une équipe de romanciers et d’illustrateurs tous issus de la science-fiction, la Red Team, pour imaginer les grands enjeux de demain.
Un lancement en grande pompe avec un site et une image soigneusement travaillée, tirant un peu sur le « soviet-punk » : l’armée entend « penser hors de la boîte » et profite de l’occasion pour arborer une image sympathiquement futuriste à peu de frais. Parmi ces contributeurs venus de la fiction on trouve Roland Lehoucq, romancier et astrophysicien, Schuiten, bédéaste bien connu des amateurs d’architecture, DOA, concepteur de techno-thrillers à succès mais aussi Romain Lucazeau, consultant en prospective et auteur du très bel opéra galactique Latium, sorti en 2016. S’il n’a pas souhaité s’exprimer sur l’initiative du ministère des Armées, il a en revanche bien voulu réfléchir avec nous sur la relation entre prospective et science-fiction que promeut ce nouveau projet.
Un futur avec un passé
L’initiative du ministère, si elle est inédite en France, est loin d’être nouvelle : Ronald Reagan s’était déjà payé les services de quelques plumes prestigieuses de la SF américaine dans la course aux étoiles qui l’opposait à l’Union Soviétique. En France il a fallu attendre presque cinquante ans de plus pour que le gouvernement exploite le potentiel sinon prophétique, au moins utilitaire, de la science-fiction. Mais le rapport est-il si évident entre une technique appliquée au monde de l’entreprise et une littérature hantée par les possibles ? « Ces deux champs sont en réalité extrêmement disjoints, rappelle Romain Lucazeau. La prospective s’est développée à partir des années 50-60, notamment aux États-Unis avec la Rand Corporation, et consiste à construire des scénarii en partant de signaux faibles, à partir d’une analyse du réel, en matière de tendances et d’incertitudes. Or, la SF ne fonctionne pas du tout comme ça ! Si elle comporte une part d’anticipation, cela reste avant tout de la littérature ». [...]
Vous souhaitez lire la suite ?
Débloquez tous les articles de l’Incorrect immédiatement !