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L’angoissante poésie du cosmos n’en finit pas de se déployer alors que l’œil humain se pose sur ses abîmes et ordonne ses abscisses. Nos instruments de mesure, nos oculaires et nos cerveaux tout entiers tendus vers la bouche aveugle des gouffres spatiaux exécutent un travail minutieux : ils soufflent sur les bas-reliefs du monde pour en dévoiler la structure, pour en révéler les formes secrètes. Et invariablement se tournent vers nos mythes pour en nommer les manifestations les plus extravagantes : « piliers de la création », « grand mur d’Hercule », « complexe de superamas Poisson-Baleine », ces entités pré-diluviennes aux noms grotesques puisent dans notre inconscient leurs appellations, en tirent peut-être leurs indicibles conduites.
Voilà bien le sens du progrès, la dilection de la science pour un état gazeux de l’univers, son empressement à dresser l’environnement en le bombardant de noms et de quantifications
Plus le regard s’affranchit de Dieu plus l’espace tout autour est pris de gigantisme, moins il a de mesure et d’ordre : à chaque décennie lorsque gonfle notre puissance de calcul, crapaud arithmétique affamant le buffle métaphysique, c’est une nouvelle « superstructure » de l’univers qui est découverte. Jusqu’où iront ces observations stériles qui ont, comme le remarquait Jacques Lacarrière en son temps, aussi peu de « réalité » que certaines spéculations théogoniques ? Ces superstructures ne sont jamais que les rejetons d’un formalisme hypothétique, et en tant que tel ce sont nos divinités païennes contemporaines : elles dressent un panthéon sans voix, aux yeux couturés de matière noire, qui nous contemple froidement depuis sa gigantomachie. Voilà bien le sens du progrès, la dilection de la science pour un état gazeux de l’univers, son empressement à dresser l’environnement en le bombardant de noms et de quantifications. Elle ne fait en réalité qu’agrandir le néant.
Une cartographie du rien
En 2014, une équipe franco-israélo-américaine d’astrophysiciens découvrait « un système gigantesque dans lequel évolue notre galaxie », et immédiatement le baptisait « Laniakea » –ce qui signifierait en hawaïen « l’incommensurable paradis ». La belle affaire. Nous évoluons donc dans des contenants contenus par d’autres contenants. Rien de très nouveau donc depuis l’atomisme des Grecs anciens. Et puis, n’importe qui peut faire pareil : je décrète ainsi aujourd’hui qu’il existe une mégastructure cosmique bien plus grande que Laniakea, et que j’appellerais « Le Formidable Slip d’Osiris » : j’ai peu de chances de me tromper. Vertige existentiel ou perversion cartographique ? L’astrophysicien Daniel Pomarède a choisi : « Nous réalisons qu’avec cette découverte nous ajoutons une nouvelle ligne sur votre adresse cosmique : Paris, France, Europe, Terre, Système Solaire, Bras d’Orion, Voie Lactée, Groupe Local, Laniakea ». Voilà donc l’unique volonté de ces défricheurs du rien : affiner notre adresse. Étoffer un peu notre bornage dans l’océan isométrique, histoire de pouvoir « rajouter une ligne » à nos commandes Uber Eats.
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La seule transcendance possible, c’est désormais celle de la géolocalisation… De même, en 2019, les astrophysiciens se sont lancés dans une « cartographie des vides » : un nom prometteur, qui résume à merveille leur projet imbécile. On les appelle également « supervides astronomiques », nous enseigne un journaliste ravi de la brèche. Et alors ? Ces structures peuvent bien s’emboîter éternellement les unes dans les autres, formant un gigantesque cosmos-gigogne sur des milliards de parsecs, ce ne seront jamais là que des coquillages creux, que des formes sans substance dans lesquelles nous perfusons à l’envi nos matérialismes enfantins. C’est bien le Paraclet qui donne au cosmos son ordre, sa hiérarchie, sa « visibilité » réelle. Sans lui, ce n’est effectivement qu’une super-flaque, un super-résidu de capote cosmique, un super-fond de sauce minestrone. L’astrophysique se contente de borner un monde sans fondement, d’articuler ensemble des parcelles de néant pour les faire résonner à l’unisson de notre famine spirituelle.
Astronomie, la science des aveugles
La prière, ce moyen si simple d’établir un pont entre le Très Haut et notre existence déjetée, phénoménalisée dans les fondations de la matière, a été remplacée par tout une foule de scrupules civilisationnels et d’artefacts qu’on appelle « technique ». Cette technique éclaire le monde avec la précision d’un phare de voiture braqué sur un océan, et l’ombre projetée de ce projecteur fabuleusement stupide, c’est l’infiniment grand et l’infiniment petit – que nous prenons pour des « réalités » lorsque ce ne sont que des mirages. Des nouveaux Dieux que nous adorons sans vergogne et sans discernement, et dont nous peinons aujourd’hui à comprendre la coexistence – cette fameuse « loi de l’unification » que nos physiciens cherchent encore –, tout comme nous nous inquiétons encore de ne rien trouver d’autre dans la grande poubelle galactique que quelques mégots de planètes et cendres d’étoiles…bienheureux physiciens qui ont confondu le cosmos avec son vide-poche !