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Épidémie : De la science avant toute chose

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Publié le

17 avril 2021

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Alors qu’elle agite savants et profanes depuis plus d’une année, la crise du coronavirus est une invitation renouvelée à penser le rôle respectif des humanités et des sciences. Dans le cas d’espèce, beaucoup – les rassuristes – ont balayé trop dogmatiquement l’approche scientifique, pourtant seule à même de saisir les réalités microscopiques et macrocosmiques de la catastrophe.
raoult

Au début de l’épidémie, il y a désormais un peu plus d’un an, quand j’admirais encore Raoult, parce qu’il me disait ce que j’avais envie d’entendre et qu’il s’attachait à correspondre à la figure du héros telle que nous autres, à droite, la fantasmons, je projetais d’écrire un article qui aurait vanté la revanche du littéraire sur le scientifique, le savoir humaniste contre la raison calculante, Hippocrate contre les robots.

Nul en science, je devinais bien qu’il n’était pas impossible que je me trompe et que mon emballement vis-à-vis de ce microbiologiste, youtubeur en devenir, ne soit rien d’autre que le fruit de mon ignorance en la matière

Dieu merci, ma pusillanimité et une pensée de derrière me prévinrent de l’erreur que je m’apprêtais à commettre. Moi-même nul en science, je devinais bien qu’il n’était pas impossible que je me trompe et que mon emballement vis-à-vis de ce microbiologiste, youtubeur en devenir, ne soit rien d’autre que le fruit de mon ignorance en la matière. Peu après, détrompé par les sottises de plus en plus énormes que le devin de Marseille racontait, toute honte bue, sottises évidentes, y compris pour un profane, qu’il présentait comme des preuves solides et tentant de rattraper à l’arrachée mes lacunes en épistémologie, lisant ceux que le professeur Raoult citaient mais aussi ceux qui s’y opposaient, comprenant les raisons des uns et des autres, je réalisais, un peu tard, devant les faits têtus que non seulement l’épidémie s’avérait grave, mais qu’elle ne pouvait pas être appréhendée à hauteur d’individu, qu’elle était somme toute principalement « contre-intuitive », et qu’elle déjouerait toute intelligence littéraire dans la mesure où celle-ci est une intelligence narrative, procédant par intuition, qui voit tout à la fois en avant et en arrière parce qu’elle est, dans sa nature primitive, un élan plutôt qu’une scrutation.

En fait, l’épidémie imposait tout à la fois l’humilité et de penser en dehors de soi en vertu d’une objectivité à laquelle tend la science dure, sans l’atteindre. C’est-à-dire qu’il ne s’agissait pas de choisir entre la science humaniste, pétrie de littérature et de philosophie, soucieuse de soigner plutôt que de comprendre, et une science statistique, pleine de froides études – habitées néanmoins de nombreux malades – et précautionneuse à l’excès. Il s’agissait, en réalité, de cesser de faire de la littérature pour rentrer dans la science jusqu’à son épuisement, pour en mesurer les limites et s’en effrayer, ces limites qui font que ni la science ni la littérature ne suffisent à dire l’ensemble du réel. Il s’agissait encore de cesser de penser en littéraire, c’est-à-dire par archétype, en convoquant les concepts faciles de « vie nue » ou de « biopolitique » qui ne résistent pas une seconde à révéler leur insuffisance à coller à cette gestion de l’épidémie pour peu qu’on ait fait l’effort de la considérer dans toute sa singularité. Que des intellectuels réputés, par ailleurs pertinents, aient pu se livrer à de tels sophismes doit interroger sur leurs capacités à penser par temps de crise, à penser quand il faut penser, et, peut-être même, à penser tout court.

La faible létalité du virus, son ignorance des plus jeunes, sa dilection pour les moribonds, et des grippes saisonnières meurtrières semblaient autant d’arguments de bon sens qui devaient suffire à démasquer le scandale d’une crise sanitaire hypertrophiée

Tout effort intellectuel devait être alors, dans un premier temps, dirigé sur le réel et prendre tous les outils à sa disposition pour le comprendre, plutôt que de chercher à déjà tirer les leçons d’un événement dont on ne connaissait finalement pas grand-chose, et à imaginer des conséquences ainsi découpées de ce qui est censé les inspirer. À la suite de Raoult, les « rassuristes » chevauchant pour nombre d’entre eux, à divers niveaux, le grand narratif complotiste, n’ont eu de cesse d’ignorer un réel qu’au fond ils n’ont jamais compris ni n’ont voulu comprendre, parce que ce réel s’avérait en grande partie immédiatement inexplicable : la faible létalité du virus, son ignorance des plus jeunes, sa dilection pour les moribonds, et des grippes saisonnières meurtrières semblaient autant d’arguments de bon sens qui devaient suffire à démasquer le scandale d’une crise sanitaire hypertrophiée.

Pourtant quiconque entrait dans les raisons microscopiques du réel, s’attachait aux statistiques, à croiser les indices, les probabilités, à calculer ce qu’il pouvait calculer, à mesurer au plus proche de la vérité  la situation dans laquelle ce virus nous plongeait peu à peu, en un silence seulement interrompu par des alertes médiatiques souvent incohérentes et grotesques, découvrait alors l’évidence macrocosmique de la catastrophe : c’est par l’invisible que cette maladie œuvrait, qu’elle étendait son réseau, et c’est, d’une certaine façon, en douce qu’elle produit son maximum de ravage, à l’abri du regard de ceux qui ainsi peuvent continuer à la nier, toute entière ou en partie, et la propager jusqu’à ce quelle atteigne son seuil d’efficience. Et seule la fameuse science à cet instant peut le comprendre, cette science tant décriée qui s’attache à déceler les secrets de l’univers et qui depuis toujours repousse plus loin une ignorance dont elle n’entame jamais le règne.

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Naturellement, comprendre revenait, dans ce cas, à ne plus être la mesure de toute chose, à souffrir non plus pour soi ou dans son propre intérêt, mais pour un intérêt supérieur et invisible, à ne plus triompher ou perdre, mais à demeurer dans la solitude d’un être que l’épidémie ne regardait pas parce qu’il n’était plus le tout qui circonscrit tout, mais la part à jamais étanche à toute universalité mondaine. Comprendre revenait surtout à ne pas s’y retrouver quand la littérature n’est faite que pour ça et c’est sûrement cela qu’il faudra un jour raconter, comment l’entêtement à se vouloir un tout, à ne pas penser plus loin que soi, à haïr son prochain pour la seule raison qu’il n’est pas « moi », a pu rencontrer une si grande audience parmi nous jusqu’à nous faire haïr l’intelligence qui nous élève et la science qui l’alimente – et ça, pour le coup, cette monstruosité, parce que nous nous y retrouvons tous, voilà l’affaire urgente de la littérature.

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