Le 20 avril, le Premier ministre s’est rendu en Alsace, au centre pénitentiaire flambant neuf de Lutterbach, pour y parler de « Plan 15 000 ». Il s’agit du nombre des places supplémentaires de prison que le chef de l’État s’est engagé à construire en mars 2018. Édouard Philippe avait lancé la construction de 7 000 places. Son successeur a expliqué qu’il fera de même. Ce sera même plus, car, depuis 2017, le gouvernement a fermé 3 000 places insalubres. Donc le Plan 15 000 concerne en réalité 18 000 places, le tout pour 4,5 milliards d’euros. Au passage, Jean Castex a rappelé qu’il a augmenté le budget de la justice de 8 %, que 10 000 postes supplémentaires de policiers et gendarmes ont été ouverts ainsi que 5 000 postes de surveillants. Bravo. À présent, soulevons le capot.
D’abord, les 18 000 places seront construites dans dix ans. Et en attendant ? Rien. Bon. Ensuite, ces places de prison servent à enfermer des délinquants condamnés. Combien y en a-t-il ? D’après Béatrice Brugère, secrétaire générale d’Unité Magistrats-FO, il y a eu 550 000 condamnations en 2018. En raison d’un choix politique, les peines ont lieu en milieu ouvert. Il s’agit des mesures alternatives à l’incarcération (sursis avec mise à l’épreuve, semi-liberté, placement, etc.). In fine, cette année-là, seules 101 431 personnes ont été condamnées à des peines de prison fermes, c’est-à-dire 1 % du total des 10 millions d’infractions pénales constatées au travers de mains courantes ou dépôts de plainte. Ah, quand même.
Le gouvernement a donc libéré 13 500 personnes en 2020 en expliquant qu’il voulait en enfermer 15 000 de plus, sachant qu’il y 400 000 personnes condamnées qui restent dehors
Donc, 101 431 condamnations à de la prison. Sauf que la France ne dispose que de 61 080 places. Au 1er mars 2020, nous avons atteint 72 400 détenus. Record de surpeuplement battu. Le ministère de la Justice a alors profité du virus pour libérer 8 000 prisonniers. Au 7 avril, nous sommes descendus à 64 439 écrous. En mai, rebelote et libération de 5 500 personnes. Et là, pour la première fois depuis quarante ans, les prisonniers ont cessé de se retrouver en surpopulation. Le gouvernement a donc libéré 13 500 personnes en 2020 en expliquant qu’il voulait en enfermer 15 000 de plus, sachant qu’il y 400 000 personnes condamnées qui restent dehors. Mais oui. Ils l’ont fait. Et ils continuent.
En 2017, le livre blanc sur l’immobilier pénitentiaire écrit par le président du département du Nord, Jean-René Lecerf, estimait que la construction de 15 000 places supplémentaires coûterait 3,8 milliards d’euros. À l’époque, Bercy ne voulait pas en entendre parler. Et puis les sondages de Marine Le Pen sont repartis à la hausse. En mars 2018, Emmanuel Macron a tranché. Et le « Plan 15 000 » est monté à 4,5 milliards.
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Pendant ce temps, la violence coûte. Une étude de 2010 sur le coût de la délinquance de l’économiste Jacques Bichot, professeur émérite à l’université Lyon III, pour le compte de l’Institut pour la Justice, estimait que les violences, les vols, les viols, les agressions, et toute la délinquance du quotidien subie par le peuple coûtent 40,1 milliards d’euros tous les ans à ce même peuple. Mais c’est autant d’argent non consommé, donc 8 milliards de TVA en moins pour l’État. Sans compter les coûts annexes. À ce niveau vous pouvez construire 30 000 places chaque année, et de quoi régler les 400 000 condamnations sans enfermement.
Votons donc en France la loi pénale de Joe Biden de 1994. Il a créé 60 nouvelles infractions punies par la peine de mort, des camps de redressement pour les mineurs, la construction de dizaines de prisons privées, etc. Sa loi a permis de multiplier le nombre de prisonniers par cinq. Aux États-Unis, les prisons rapportent, grâce aux prisonniers pour qui le moindre verre d’eau est payant. Et le 30e amendement a maintenu l’esclavage pour les prisonniers, qui sont obligés de travailler. Avouez que cela donne des idées.