On a l’impression de suivre le fil de votre pensée comme un fleuve. Il n’y a pas d’organisation très claire.
Je ne suis ni un intellectuel, ni un philosophe. Je suis un écrivain. Ce qui est certain, c’est qu’il y a beaucoup de digressions. J’ai toujours été très porté sur les parenthèses, les notes, les chemins de traverse.
Vous aimez la bathmologie, c’est-à-dire l’étude du degré de signification des mots.
La bathmologie a toujours été fondamentale pour moi à partir du moment où jeune homme, je l’ai découverte grâce à Roland Barthes. Je l’ai d’ailleurs beaucoup plus utilisée que lui qui, dans son génie, l’a simplement donnée en fulgurance. C’est quelque chose qui m’a toujours beaucoup intéressé et j’y reviens toujours. Il est certain que c’est mon medium, elle est donc toujours présente.
Vous parlez aussi de l’idéologie du « sympa » qui sert à nommer tout ce qui est acceptable, excluant tout ce qui n’est pas agréable à entendre ou à voir. Tout le monde a une attraction envers le « sympa ». Comment renverser cela ?
L’idéologie du « sympa », voilà l’ennemi! C’est le sous-produit de tout: la morale, l’esthétique, etc. Tout y est aggloméré : le rien, le non-jugement, toute la bêtise du monde. Cela se voit d’ailleurs dans l’extrême plasticité du terme qui veut tout et rien dire, tant quelque chose d’énorme que de minuscule, d’attachant que de dégoûtant. Ça n’a pas de sens.
Comment alors rendre attrayante la complexité qui peut être dégagée par ce qui n’est pas « sympa » ?
Par la discrimination peut-être. J’aime beaucoup la discrimination, j’en suis un ardent défenseur. Elle a été considérée durant des siècles comme une vertu intellectuelle et morale, mais elle est devenue l’étendard de l’horreur. Je suis pour un retour à la source. Dès lors, nous sommes tout à fait dans la bathmologie. Il ne faut toutefois pas tomber dans le contraire. Je n’ai aucune fascination pour l’« antipa », ce serait aussi bête que d’être « sympa ». Je crois réellement à la discrimination, à la nuance, à la distinction, au jugement au cas par cas et éviter une pure dialectique.
Vous citez Nietzsche sur la mort de Dieu. On comprend au fil de votre ouvrage que cette mort conduit par plusieurs étapes au « remplacisme ».
Une étape notable est l’avènement de la Science comme instance suprême de la vérité, ce qui est sans doute la première dépossession. À partir du moment où Dieu et la religion ne sont plus des instances suprêmes, ils sont remplacés par la Science. Or, la Science est aussi susceptible de schismes, d’hérésies et divisions que la religion. D’ailleurs, je ne suis pas sûr qu’elle tienne aussi longtemps. Elle semble avoir un sérieux plomb dans l’aile ! [...]
Vous souhaitez lire la suite ?
Débloquez tous les articles de l’Incorrect immédiatement !