Jouez-vous Orphée contre Descartes ?
Oui, effectivement, Descartes incarne le moment moderne par excellence, on bascule véritablement du côté du calcul, de la mesure, de ce qui est quantifiable, tout en évacuant ce qui relève de la métaphysique. Descartes est lui-même croyant, mais sa pensée rompt de manière radicale avec tout lien « transcendant ». C’est par là qu’il prépare l’horreur moderne, quand seul existe ce qui se mesure.
Orphée pourrait donc être érigé comme un contre-pôle ?
Oui, parce que rien n’est plus réel que le mythe, cette ouverture vers le monde imaginal. Orphée incarne la proximité originelle avec le divin. La liturgie qui s’organise entre la nature et le poète traduit un jeu amoureux d’une grande sagesse parce que c’est une vie qui répond à une vie, un regard qui répond à un regard. Ça me rappelle le poète mauricien Malcolm de Chazal qui disait, lorsqu’il se promenait dans un jardin botanique : « La fleur me regarde. » Ce n’est plus une relation du sujet vers l’objet, mais une relation nuptiale, soit la relation poétique par excellence et, de mon point de vue, la relation à la fois la plus authentique et la plus métaphysique que l’on puisse entretenir avec le monde.
Orphée est-il le modèle de tous les poètes ?
Il est à la fois le maître, le modèle et l’initiateur. Je ne pense pas qu’un poète, fût-ce à son corps défendant, n’ait pas Orphée comme véritable inspirateur. Il est celui qui va donner le « la » à tous les poètes, au sens musical. Avec Orphée, on n’est pas dans la maîtrise, on ne devient pas maître et possesseur de la nature, mais on contemple et on est contemplé, on est donc dans le registre de la louange, or, de mon point de vue, la poésie est toujours œuvre de louange.[...]
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