Existe-il encore une droite séduite par le front des souverainistes ? La raison la plus élémentaire rit doucement de cette hypothèse, mais l’homme résiste mal aux charmes des fantaisies, alors on ne sait jamais…
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Aujourd’hui, enfin hier, un bel exemple de l’inanité de cette stratégie. Tout commence dimanche dernier sur CNews. De treize à quatorze heures, Aymeric Pourbaix y présentait comme chaque semaine l’émission « En quête d’esprit », à l’antenne depuis mai 2020 (vous vous souvenez, l’air brutal et vif du déconfinement, et le retour des robes sur les boulevards – « que d’amours splendides j’ai rêvées »). Il y est en gros question de traiter l’actualité d’un point de vue catholique, projet bien pirate que voilà, admettons. Dimanche dernier donc, nous étions le deux octobre, soit trois jours après la saint Michel, qui, outre son statut fort jalousé parmi les légions célestes de saint patron des parachutistes, est aussi l’archange qui terrasse Lucifer dans l’Apocalypse de Jean. Ainsi il est dans la tradition catholique le symbole de la lutte contre les démons.
Rusé, on n’ose pas écrire malin, Pourbaix, d’ailleurs directeur de l’excellente France Catholique, se sert de cette date pour consacrer une émission à la présence des forces du mal dans le monde. Bon, c’était trop dépasser les capacités d’imagination rachitiques de notre siècle, et puis il faut avouer que ça manquait de paires de nibards pour être pris au sérieux. L’introduction de l’émission a donc tourné sur les réseaux sociaux, surtout Twitter, sous les rires goguenards de l’internaute moyen (« Haha y veu luter contre les forces du mal mdr Harry Potter », « ça me foudroie comment il sort ça en détente »). Voilà parce qu’apparemment notre époque chérit follement les histoires de possession, mais à condition qu’elles ne quittent pas les salles obscures, voir le succès des films de James Wan.
Bon, après les huées démocratiques des internets, la chose devenait sérieuses quand de respectables intellectuels qui avaient fait la Sorbonne voire hypokhâgne chaussaient leurs lourdes lunettes. La presse de gauche se mettait en branle pour rappeler qu’elle avait toujours le sens de l’humour. Libé sortait un papier, mais il avait l’air plutôt bien écrit, or mon nez bossu sous l’effet des sparrings a contaminé tout mon être d’une sainte horreur de la lutte contre plus fort que soi, et puis surtout c’était Libé, qu’avait-on à ajouter à leur sujet ? Plus intéressant, Marianne faisait de même. Eux, on ne savait pas trop si c’était des adversaires, alors ça valait le coup de fouiner.
La livraison nous vient d’un certain Louis Nadau. Moi vous me connaissez, je ne goûte que d’assez loin les attaques personnelles. Seulement j’ai fait un tour sur le Facebook de Louis et le niveau de baston de rue du mec est trop bas pour mériter qu’on lui applique les conventions de Genève. Je sais, ce n’est pas un argument… mais quand-même. Disons que dans une cité à peu près ordonnée, il aurait pu au mieux prétendre devenir mon palefrenier.
Vous, qui croyez à l’enfer et au paradis, vous pensiez juste être catholiques. En fait non, croire dans la doctrine de l’Église la plus fondamentale fait de vous des intégristes, écoutez Loulou un peu !
Allez trêves de gourmandises, lisons son papier. Le mec attaque fort. « Ici [dans l’émission de Pourbaix], nous sommes chez les purs et durs, les vrais de vrais, les “Tratras” pur sucre. En un mot : les intégristes. Ceux qui croient à l’enfer et au paradis au premier degré. » Alors là, on flaire tout de suite le gros client. Vous, qui croyez à l’enfer et au paradis, vous pensiez juste être catholiques. En fait non, croire dans la doctrine de l’Église la plus fondamentale fait de vous des intégristes, écoutez Loulou un peu ! Touchante gauche, qui ne tolère que les catholiques qui abjurent leur foi, qui la réduisent à de sympathiques mythes pour enfants trop bien élevés. Bon, continuons, en vous passant les regrettables plaisanteries dont l’artiste tente de relever sa prose insipide.
Son argument principal consiste en ce que CNews est une chaîne d’information, qui doit donc parler d’actualité, de faits établis, or il n’est pas établi qu’anges et démons existent und so weiter. « Notons l’astuce de CNews : partant du principe que les saintes écritures décrivent le réel, anges et démons peuvent bien faire partie de l’actualité, et seront traités sur le même ton que la guerre en Ukraine ou la réforme des retraites. » Nous nageons dans la fumisterie. Car dans cette émission, il a été question d’actualité. Tu peux donc ranger les conventions du CSA que tu cites à longueur d’article, tel le bon élève un peu cafteur que personne n’aimait en CE2, que tu étais sans doute (moi aussi, mais ce destin n’est pas irrémédiable, « résiste, prouve que etc ») Seulement les invités ont traité cette actualité à la lumière de leur foi. Là où certains voient un complot judéo-machin, d’autres un État raciste et patriarcal et toute une suite diaprée d’épithètes qui remplissent le compte en banque d’Assa Traoré, eux voient le diable. Tu vois, si tu étais un athée conséquent, tu aurais lu Nietzsche, et tu saurais qu’il n’y a pas de faits mais seulement leur interprétation. Après tout, considérer le monde comme le terrain d’affrontement des forces du bien et du mal où tout notre devoir consiste à faire triompher les premières n’est peut-être pas une interprétation si pauvre de l’existence.
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Ah, vers la fin il y a un paragraphe croustillant : « Vous reprendrez bien une lampée d’obscurantisme avec votre mysticisme ? C’est le père Gaultier de Chaillé [un des invités de l’émission] qui régale, en affirmant : “C’est toujours comme ça dans l’histoire : tous les siècles scientifiques, de fierté, génèrent de la magie et de la superstition. C’était la même chose à la Renaissance, c’était la même chose à l’Antiquité.” Une petite rasade de conservatisme pour digérer ? “Dieu veut que nous soyons lucides, réalistes, et que nous soyons à notre place, assène le prêtre. C’est précisément la meilleure manière de lutter contre le diable : être à sa juste place, d’expérimenter la liberté dans l’humilité.” À la santé de l’ordre établi ! » Alors là il y en a trop d’un coup, on va découper pour vous aider à digérer. Déjà, les grands mots. Obscurantisme, mysticisme. Les grands mots qu’on balance sans arguments, comme des formules magiques de la raison.
Et puis la créativité du mec, on dirait du Voltaire mais en nul. On dirait ses frères ennemis de la gauche identitaire, qui voient des racistes à tous les coins de rue. Lui, c’est des curés. Ça doit pas être marrant. Surtout, il qualifie d’obscurantiste un constat somme toute évident du père de Chaillé, qui devient de plus en plus sympathique au fur et à mesure qu’en parle notre journaliste, selon lequel quand les grands systèmes de croyance s’effondrent, les personnes qui ne peuvent s’abreuver que des flots irradiants de la raison pure s’en bricolent comme elles peuvent, cf l’astrologie ou les qualités d’actrice de Virginie Efira (celle-ci est scandaleuse, je n’aime que toi sur terre Vi’, et j’aurais à peu près tout donné pour le rôle de Pierre Niney dans 20 ans d’écart).
Ces gens sont d’insupportables premiers de classe comprenant tout à l’intelligence et rien au génie, des demi-habiles tête-à-claque qui ressassent leur raison depuis trois cents ans sans avoir jamais compris qu’en dernier lieu elle n’explique aucun phénomène ni ne fonde aucune éthique
À la fin de ce paragraphe donc, Louis, qui décidément avait mieux à faire hier que de pondre un article tolérable, nous sort le couplet sur Église et conservatisme. Parce que le catholicisme prêche l’humilité, il serait du côté de l’ordre établi. On est à court d’argument face à une telle bêtise. Louis vit sans aucun doute en 1760, mais on a le regret de lui annoncer qu’il ne peut plus rien pour le chevalier de la Barre. Déjà, l’humilité face à Dieu est ce qui permet toutes les rébellions dans l’ordre temporel. Je ne crois pas que les catholiques soit une race particulièrement singularisée par sa docilité dans l’histoire. Et puis aujourd’hui, les accuser d’être du côté de l’ordre, alors que justement ton triste papier aboie avec les loups, c’est d’un cocasse charmant.
Concluons. Cet article scandaleux émane d’un journal, Marianne, qui est avec Franc-Tireur le dernier refuge de cette gauche universalisto-républicaine que l’on nous somme aujourd’hui d’aimer sous prétexte qu’il y aurait pire. Mais, s’ils peuvent être pour elle des alliés de circonstance face à un péril supérieur, ces gens seront toujours les adversaires acharnés de la droite civilisationnelle, pour employer un terme vulgaire mais que chacun comprend. Ces gens sont d’insupportables premiers de classe comprenant tout à l’intelligence et rien au génie, des demi-habiles tête-à-claque qui ressassent leur raison depuis trois cents ans sans avoir jamais compris qu’en dernier lieu elle n’explique aucun phénomène ni ne fonde aucune éthique. Leur foi en elle n’est pas plus raisonnable que la foi en l’archange Michel, à ceci près que la dernière au moins se sait foi. Et qu’elle a fondé une civilisation où il y avait des chevaliers étincelants qui récitaient des vers sous les donjons des princesses diaphanes, alors qu’après quelques décennies de leur monde, Cyril Hanouna et Magali Berdah sont des noms de star et pas de condamnés au supplice de la roue. Quitte à choisir…