Le premier prix Jean-René Huguenin a été décerné vendredi soir à l’Hôtel littéraire Swann, rue de Constantinople, sur les hauteurs de Saint-Lazare. Le jury est dirigé par Maxime Dalle, directeur de la revue littéraire Raskar Kapac, qui ne cache pas son intérêt pour tout ce que la littérature compte d’incendiaire, de mousquetaire et d’oublié. Pas étonnant que ce prix honore donc le souvenir d’Huguenin, météore de l’après-guerre, écrivain mort à vingt-six ans dans un accident de la route en septembre 1962, une semaine avant Nimier d’ailleurs, cruelle coïncidence. De sa courte vie, Huguenin n’a laissé qu’un roman doux et torturé, La Côte sauvage. Sans imagination, on pourrait dire que voilà un destin bien hussard, et il vrai que le jeune homme ne cachait pas ses sympathies droitières et avait collaboré à plusieurs revues dirigées par Nimier, Blondin and co. Bref, chacun aura compris que le prix Jean-René Huguenin ne se déroule pas exactement dans une ambiance France Inter.
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Et pourtant, un homme de gauche, Pierre Arditi, y était présent et à l’honneur, puisqu’il est le parrain du prix. Lors de son discours, qui a précédé la remise du prix, un Arditi en belle forme confie d’emblée qu’il « se fout totalement » de ses divergences politiques avec Huguenin, dont on découvre à mesure qu’il s’exprime qu’il a vraiment irrigué sa vie d’acteur. Rafraîchissant, d’entendre ce septuagénaire vanter les mérites de la passion quand elle se fait aventure, de la beauté des corps et des lignes. Pourquoi ne pas regarder ses films un jour ?
Enfin, vient le moment de la remise du prix. Le lauréat a été choisi à l’unanimité par la petite dizaine de jurés. Il s’agit de Que reviennent ceux qui sont loin, de Pierre Adrian, étoile montante des lettres françaises. À 31 ans, avant ce roman, il a déjà publié trois ouvrages, dont le premier, consacré à Pasolini, a reçu le Prix des Deux-magots et le Prix François-Mauriac de l’Académie Française, et le deuxième le Prix Roger-Nimier. On ne s’étonne pas que le jury ait choisi cette quatrième œuvre , tant elle dialogue avec La Côte sauvage. On y retrouve le même mois d’août breton, la même mélancolie face au déchirement de l’âge adulte qui pointe. Adrian, sobre et dégingandé, récupère son prix avec quelques mots authentiques pour Huguenin. Sa minceur, sa moustache et ses cheveux plaqués sur le front semblent ressusciter un professeur de lettre version 1910, engagé comme lieutenant de cavalerie dans la guerre. Ensuite, les cocktails, les discussions mondaines, rien à signaler. Il y a eu de belles phrases dans les discours, de la passion dans les voix. Le souvenir d’Huguenin survit, inspire encore. Loin des Nobel de connivence, il y a une littérature française qui vit, qui s’affronte au tragique de l’existence, le regard tourné vers ses maîtres. C’est bien.