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Éditorial monde de novembre : Le crépuscule des nations

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Publié le

4 novembre 2022

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« Les nations occidentales vont devoir trouver de nouvelles ressources pour faire face au ressentiment des empires ». Éditorial monde du numéro 58 par Laurent Gayard.
poutine

En 2009, Martin Jacques, chercheur à la « London School of Economics », crée la sensation en publiant When China rules the world, un ouvrage dans lequel il suppose que la civilisation occidentale de l’État-nation pourrait s’effacer face à un nouvel ordre mondial dominé par les « États-civilisations », notamment chinois. « Nous entrons dans une ère au cours de laquelle l’influence de l’Europe deviendra progressivement marginale, et où les États-Unis feront face à un déclin irréversible tandis que les nations émergentes vont devenir des acteurs majeurs. » L’essai provocateur se vend à 250 000 exemplaires et la thèse des « États-civilisations » est même reprise par les principaux intéressés, à l’instar de Vladimir Poutine qui fait sien le concept, en 2013, devant le club Valdaï, think tank créé en 2004, affirmant la prééminence de la civilisation russe face à une Europe qui « renonce à ses racines, à son idéologie traditionnelle, culturelle et religieuse, et même sexuelle… »

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On retiendra que le bastion des valeurs chrétiennes est encore, en 2013 et jusqu’à nos jours, l’un des pays où le business de la Gestation pour autrui (GPA) est le plus florissant, mais le storytelling – comme on dit dans les agences de pub – du Kremlin a peu à voir avec la réalité. Il s’agit avant tout de bâtir – ou plutôt de rebâtir – un mythe impérial, tombé en déshérence avec la disparition de l’URSS, et la thèse des « États-civilisations » s’adapte parfaitement à cette nécessité. C’est aussi le cas d’une partie des élites chinoises, volontiers engagées dans un combat civilisationnel contre un Occident jugé responsable du « siècle de l’humiliation », qui va des traités inégaux, infligés à l’Empire du Milieu après les guerres de l’opium des années 1840, jusqu’à la victoire de Mao Zedong en 1949. Et il en va de même pour le régime turc actuel, qui n’entend pas tant rompre avec l’héritage kémaliste qu’effacer définitivement l’humiliation subie à l’occasion de l’écroulement de l’Empire ottoman à l’issue de la Première guerre mondiale.

La temporalité dans laquelle se trouve le Kremlin est plus proche de 1914-2018 que de 2022 et la Russie a déjà démontré à quel niveau de sacrifice elle peut consentir pour atteindre à tout prix ses objectifs

La permanence du ressentiment guide la politique des États dans le temps long de l’histoire. Nous voilà revenus à l’âge des empires, ou plutôt de la revanche des empires, une revanche à l’œuvre en Ukraine pour les Russes ou en Arménie pour les Turcs, par l’entremise d’un Azerbaïdjan agressif, ne reculant pas devant les crimes de guerre. L’urgence, pour les dirigeants occidentaux et leurs opinions publiques, est aujourd’hui de réaliser jusqu’où ce désir de revanche impériale peut mener. Les victoires actuelles de l’Ukraine pourraient laisser croire que la guerre se réglera vite. Mais la temporalité dans laquelle se trouve le Kremlin est plus proche de 1914-2018 que de 2022 et la Russie a déjà démontré à quel niveau de sacrifice elle peut consentir pour atteindre à tout prix ses objectifs. La guerre en Ukraine a encore toutes les chances de se transformer en longue guerre d’usure et la mobilisation générale russe peut au moins figer la situation pour des années, plongeant toute l’Europe dans une récession durable. Quant à la Chine ou à la Turquie, elles attendent, de leur côté le moment propice pour s’affirmer et le pourrissement du conflit en Ukraine pourrait le leur fournir plus tôt qu’on ne le pensait. Mais laisser le champ-libre à Poutine en Ukraine reviendrait au mieux pour l’Europe à sortir pour de bon de l’histoire et serait au pire suicidaire. Les nations occidentales vont devoir trouver de nouvelles ressources pour faire face au ressentiment des empires.


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