La France proteste mais n’agit pas. Partout le conformisme le plus plat domine, au point que nous prenons pour des réformes ce qui n’est qu’un statu quo et pour des révoltes ce qui ne constitue que des grognements mous. Élections après élections, rien ne bouge. Les mêmes programmes s’appliquent continuellement. Pourtant, le mécontentement paraît général. Nous connaissons donc une sorte de stérilisation politique d’un peuple qui ne parvient pas à imposer sa volonté de changement. Il existe une forme de censure, un processus à broyer les revendications et les alternatives.

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Tout fonctionne comme si le citoyen avait intégré, au plus profond de lui-même, le caractère déraisonnable de ses propres attentes, comme si seule une élite pouvait encore savoir ce qui est bon, ce qui est réaliste, ce qui doit être fait. Le vote ne constitue plus un acte de souveraineté, par lequel une nation choisit ce qu’elle veut, mais un acte de renoncement, une soumission à un ordre des choses déjà décidé par ailleurs. Le suffrage universel se trouve réduit à servir de ratification forcée aux décisions d’un pouvoir se résumant à la volonté d’une caste. En quelque sorte, tout se déroule comme si chacun était convaincu à la fois de l’impossibilité démocratique, c’est-à-dire de l’impossibilité de laisser la volonté d’un peuple nous gouverner, mais aussi de l’obligation de la forme démocratique, c’est-à-dire de la nécessité de conserver une pratique électorale pour désigner les gouvernants. Il résulte de ce paradoxe une injonction contradictoire : « Choisissez qui vous voulez pour diriger, à la condition que ce soit toujours les mêmes et qu’ils fassent toujours la même chose ! » [...]