La France « célèbre » les dix ans du mariage pour tous. Quel regard portez-vous sur le narratif médiatique ?
C’est pathétique. D’abord en matière de désinformation : on répète que la loi Taubira est formidable et que la société n’a pas été bouleversée contrairement à ce que prétendaient ses opposants. Or c’est complètement faux : ils passent sous silence l’adoption, la PMA sans père et la théorie du genre qui se diffuse partout. Ensuite, on retrouve la pauvreté des arguments de l’époque, par exemple le fait que cette loi était une loi pour l’égalité – alors que le mariage n’est pas un droit. Il y a aussi l’argument de l’amour – or la loi n’est pas là pour s’occuper de l’amour. Le code civil ne s’est intéressé au mariage que pour fonder les familles et donc permettre le renouvellement des générations nécessaire à la société. L’amour ne doit pas justifier le fait de priver volontairement un enfant de père ou de mère. Un enfant, on l’a pour lui-même et non pour soi-même.
Cette pauvreté argumentative s’accompagne souvent d’accusations d’homophobie. Or, le Conseil constitutionnel n’a eu de cesse de rappeler sur des sujets divers qu’à situation différente, traitement différent. Les couples hétérosexuels ne sont pas comparables avec les couples homosexuels, ça n’est donc pas une question d’égalité ou d’inégalité. Ce n’est pas parce que l’on est en désaccord avec la loi Taubira ou bien avec les lobbys LGBT que l’on est homophobe.
Pour quelles raisons étiez-vous opposée au mariage homosexuel à l’époque ?
On se marie parce qu’on s’aime bien sûr, suffisamment pour s’engager toute la vie, et que l’on a envie de fonder une famille ensemble, ce qui est le plus beau projet de vie que l’on puisse avoir. C’est cela le mariage, et les articles du code civil lus par le conseiller d’état-civil pendant un mariage civil évoquent précisément les enfants à venir. Il est contradictoire, et aberrant, de parler de mariage pour des personnes qui ne sont pas en mesure d’avoir des enfants ensemble.
Ce texte a déconnecté la loi de la réalité humaine. Malheureusement, qui dit mariage dit ouverture à l’adoption. Donc avec cette loi, les couples de même sexe ont pu adopter. Des enfants orphelins n’ayant déjà plus de parents se sont retrouvés une deuxième fois privés de mère ou de père. Non seulement, cette filiation adoptive est invraisemblable par rapport au réel mais en plus, c’est une perte immense sur le plan psychologique et psychique puisqu’un père n’est pas une mère et une mère n’est pas un père. Ce déni de la différence radicale mais très enrichissante et complémentaire des sexes était une autre raison de notre opposition.
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Quelles sont les conséquences de la loi Taubira sur le corps social ?
Sur un plan culturel, cela a conduit à l’indifférenciation des sexes : la loi Taubira repose sur l’idée qu’un couple homme-femme est comme un couple homosexuel. Les identités sexuées sont donc secondaires et anodines, et ça a des traductions légales. Depuis ce texte, notre droit a supprimé le mot d’« épouse » – on dit simplement « les époux » – et a remplacé « père » et « mère » par « parent 1 » et « parent 2 ». Dans certaines écoles d’ailleurs, on a remplacé la « fête des pères » et la « fête des mères » par la « fête des gens que j’aime ». On assiste donc à une indifférenciation générale pour ne pas blesser les enfants qui ont des parents homosexuels.
Ensuite, la PMA sans père a été réclamée pendant tout le quinquennat Hollande, qui a tenté à trois reprises d’aller vers la légalisation mais qui a renoncé face aux mobilisations de la Manif pour tous. Emmanuel Macron y est ensuite revenu, ça a été un processus long et clivant mais malgré le rejet de l’article premier de la loi bioéthique qui ouvrait la PMA sans père puis le rejet du texte complet par le Sénat, le président est passé en force comme pour les retraites. Conséquence : des enfants sont désormais privés de père. On a pour cela créé des filiations fictives car on peut maintenant inscrire sur un acte de naissance qu’un enfant a deux mères, ce qui est évidemment faux. Si on reconnaît deux mères, on peut aussi reconnaître deux pères : cette loi bioéthique fait le lit de la GPA.
Toujours sur le sujet de la différenciation sexuelle, les trans sont aujourd’hui mis en avant. N’étant ni homme ni femme, puisque qu’il s’agirait de « constructions sociales », chacun peut s’auto-déterminer et transitionner s’il le souhaite. Là encore, les conséquences sont tragiques pour les jeunes concernés. On fait croire à des enfants en grande souffrance qu’ils ne sont pas dans le bon corps et on les embarque dans des transitions dont les effets sont irréversibles.
Beaucoup de personnalités de droite renient aujourd’hui leur soutien à la Manif pour tous et disent regretter de s’être opposés au mariage homosexuel. Que cela vous inspire-t-il ?
Ces retournements de veste, qui sentent l’intérêt personnel et l’ambition immédiate, expliquent la défiance des Français à l’égard de la politique. La parole politique n’a plus de crédit. Il y a le cas particulier des Républicains qui sont incapables de s’assumer. C’est une droite complexée qui devient donc progressiste, de sorte que la différence avec Emmanuel Macron s’estompe. Le résultat des courses, c’est Valérie Pécresse qui fait 4,78 % à la présidentielle de 2022. On pourrait pourtant parler de l’échec de Nicolas Sarkozy à la primaire de 2016 face à François Fillon qui lui voulait revenir sur la loi Taubira. Entre temps, il y a eu l’échec des élections européennes avec François Xavier Bellamy interprété de la sorte : « Être conservateur, c’est courir à l’échec. » C’est selon moi un contresens terrible, une erreur historique que Valérie Pécresse a poursuivie allègrement en creusant le sillon de cette droite complexée et progressiste qui craint les médias.
Ce déni de la différence radicale mais très enrichissante et complémentaire des sexes était une autre raison de notre opposition.
Pensez-vous qu’il soit encore possible de revenir sur cette mesure à l’avenir ?
Je suis convaincue qu’il n’est pas trop tard, ce qui ne veut pas dire que ce sera possible demain matin. Il faut investir le champ intellectuel et culturel pour faire valoir des arguments de bon sens que nos élus ne voient plus. Si la société contemporaine va mal en ce qui concerne par exemple la transmission, l’éducation ou l’instruction, c’est parce que la famille, qui est censée la structurer, va très mal. Mais il ne faut surtout pas baisser les bras. Nous avons déjà réussi à retarder de huit ans la légalisation de la PMA sans père. Pour le moment, personne n’ose proposer la légalisation de la GPA comme projet de loi alors que c’était le cas avant 2012.
Voilà pourquoi la Manif pour tous est devenue le Syndicat de la famille. Le travail à faire doit suivre deux axes : l’urgence du court terme pour s’opposer, puis le moyen/long terme pour proposer. Nos politiciens, y compris ceux qui ne sont pas anti-famille, connaissent mal la famille et le corps social. Ils sont incapables de parler de l’éducation, de la transmission, du rôle du père et de la mère, et donc ne pensent pas leurs décisions politiques sous l’angle de la famille – alors que 80% des Français vivent en famille et la France en compte presque 19 millions.
Malgré l’échec législatif, dans quelle mesure la Manif pour tous a-t-elle tout de même porté du fruit ?
La première des conséquences positives, c’est la prise de conscience d’un très grand nombre de Français sur les dangers du prosélytisme progressiste et LGBT à l’œuvre. Nous avons poursuivi le mouvement car il fallait que le mariage homosexuel reste un sujet de débat, et non un acquis. Ça a permis à de nombreux jeunes de se décomplexer et d’agir. Tous les jours, il y a des initiatives, des associations, des revues ou des actions qui se font dans le cadre de cet engagement.
Sur le plan législatif, depuis dix ans, la Manif pour tous exerce une veille très professionnelle sur tout ce qui peut nuire à la famille au Parlement. Et ces actions auprès des élus sont utiles : nous avons pu faire passer des amendements ou obtenir des évolutions sur plusieurs projets de loi. Je rappelle que François Hollande avait renoncé en 2016 à légaliser l’euthanasie « à cause de la Manif pour tous » selon ses propres mots.