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The Killer : Fluide glacial

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Publié le

13 novembre 2023

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Avec The Killer, David Fincher tente de réaliser le film le plus amorphe et générique qui soit sur un tueur à gages. Pari réussi.
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Des techniciens de surface de la Grande Forme Hollywoodienne contemporaine, David Fincher est le plus lisse et le moins adhérent. Pas de prolifération millimétrée (Wes Anderson) ou pseudo-psychédélique (Paul Thomas Anderson), pas de boursouflure à la louche (Damien Chazelle) ou mise au carré du concept (Christopher Nolan). De l’autoroute, du fluide et du glacial. Fincher, c’est un peu le Vigor des cinéastes américains, la puissance industrielle au service de vos toiles plutôt que de vos sols. 175 millions de dollars ont été engloutis dans la lessiveuse The Killer grâce à la manne Netflix. Il en ressort une série B programmatique qui se hausserait du col, aussi originale qu’une visite au lavomatic.

Un tueur rate un contrat (il abat une putain SM en lieu et place de son client) ; le commanditaire décide de le « canceller » pour de bon et fait du mal à sa bien-aimée dans leur havre de paix dominicain ; notre héros vraiment pas content se souvient des films de Charles Bronson qu’il a vu enfant et zigouille à peu près toute personne impliquée dans cette infamie. Ce sujet décoiffant de nouveauté est adapté d’une bande-dessinée française. Son traitement réfrigéré fait la part belle aux déplacements et à la connectique. La voix-off du héros, atonale, décrit les commandements de la tuerie gagée et quelques considérations sur la vie aussi passionnantes que le bottin ; elle couvre à elle seule le tiers du métrage. On saisit au début l’hommage assez évident au Voleur de Louis Malle où Belmondo déclarait en off, dès l’entame, faire un sale métier et le faire salement. Le tueur fincherien (Michael Fassbender) s’enorgueillit lui de le faire proprement, mais patatras, un décalage infime de trajectoire va dérègler la machine.

La seule idée surprenante de The Killer est malheureusement la pire : le tueur écoute les Smiths dès qu’il est livré à lui-même, c‘est à dire très souvent.

Tout écart chez Fincher se résout en toile cirée. Il a été demandé à l’acteur de mimer un bloc de saindoux dans une chambre froide. Aucune expression ne se recense sur son visage. Sans dommage pour le film, il aurait pu être remplacé par Samy Naceri, un deep fake de Laurence Olivier, ou même Muriel Robin, le résultat serait à peu près le même (peut-être un poil plus intéressant mais, concédons, moins vendeur). Un close combat interminable rappelle le meurtre au débotté du Rideau déchiré (1966), sans les inventions graphiques géniales de Hitchcock. A la place, une batterie d’effets spéciaux nie le poids des corps et détourne le ballet sanglant vers le comique malaisant de Ted (Seth MacFarlane, 2012), lorsque Mark Wahlberg et son meilleur ami – un ours en peluche numérique – mettaient à sac une chambre d’hôtel en se battant.

La seule idée surprenante de The Killer est malheureusement la pire : le tueur écoute les Smiths dès qu’il est livré à lui-même, c‘est à dire très souvent. Fincher s’évertue à faire coïncider les titres ou les paroles des chansons aux situations dépeintes (exemple : l’introduction de « How soon is now » sur un ajustage de cible). Le goût du héros – sa presque seule manifestation d’humanité  – devient, instrumentalisé par Fincher, un commentaire cynique et post-moderne sur les comportements antisociaux dépeints. Le film n’est pas vivifié par les morceaux de Morrissey et Marr ; au contraire, ceux-ci débordant d’affects se retrouvent souillés par l’usage illustratif et ricanant qui en est fait. Au terme de son odyssée de la vengeance, Fassbender se retrouve at home sur un transat, comme si de rien n’était, avec son amie finalement pas trop amochée à ses côtés. On se croirait au début de l’admirable Sunset (Michel Franco, 2021) qui prenait à bras le corps la résistance de simples corps à la disparition du monde dans un continuum liquide de virages et de virements. Pour 175 millions de dollars, on n’a décidément plus rien.

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