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Matthieu Lavagna : « Michel Onfray accumule une grande quantité d’arguments fallacieux »

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Publié le

9 avril 2024

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Dans son implacable « Libre réponse à Michel Onfray : NON le Christ n’est pas un mythe », le jeune théologien Matthieu Lavagna démonte point par point les erreurs et mensonges du philosophe sur l’existence historique de Jésus. Entretien.
© Matthieu Lavagna

Pourquoi vous semblait-il important d’écrire ce livre sur Jésus vu par Michel Onfray ?

Parce que Michel Onfray a encore malheureusement beaucoup d’influence sur les esprits contemporains. Son Traité d’athéologie a été vendu à plus de 350 000 exemplaires et la désinformation historique anti-chrétienne continue à se répandre plus que jamais. C’est pourquoi il m’a semblé urgent d’apporter une réponse de fond à l’ensemble de ses arguments contre le christianisme, montrant à quel point ils relèvent de l’imposture intellectuelle.

Quelles sont les sources non chrétiennes permettant de certifier que Jésus a bien existé, contrairement à ce qu’il avance ?

En plus d’être attestée dans les Évangiles, dans les écrits du Nouveau Testament et dans ceux des Pères apostoliques, l’existence de Jésus est aussi confirmée par un grand nombre d’auteurs non chrétiens : Flavius Josèphe, Tacite, Suétone, Pline le Jeune, Lucien de Samosate, Galien, Mara bar Sérapion et Celse, de même que dans le Talmud de Babylone. Au total, nous avons 42 sources datant de moins de 150 ans après la mort de Jésus mentionnant son existence, dont neuf non chrétiennes. En matière historique, c’est une chose excellente et inespérée ! En comparaison, pour Jules César, nous avons seulement cinq sources rapportant ses opérations militaires.


« Même les juifs ne remettaient pas en cause l’existence du Christ. Ce point est crucial, car s’il y avait eu le moindre doute quant à son existence, ces derniers n’auraient pas manqué de le faire savoir ! »

Matthieu Lavagna

On comprend alors pourquoi même les juifs ne remettaient pas en cause l’existence du Christ. Ce point est crucial, car s’il y avait eu le moindre doute quant à son existence, ces derniers n’auraient pas manqué de le faire savoir ! Cela aurait été un excellent moyen pour eux de ridiculiser les chrétiens (ils auraient pu se moquer d’eux en les accusant d’adorer un Messie inexistant). Or, ils ne firent rien de tel et se contentèrent de critiquer le christianisme pour des raisons théologiques. Ainsi, comme disait Pascal, les juifs sont des « témoins irréprochables ».

Enfin, la thèse mythiste pose un autre problème d’ordre plus général : qui, parmi les apôtres, aurait accepté de mourir pour un personnage inexistant ? Comment peut-on croire qu’une douzaine de pauvres Galiléens aient soudainement accepté de risquer la persécution et la torture pour des histoires qu’ils auraient inventées ? Le philosophe Frédéric Guillaud remarque avec humour : « Quelle est la meilleure hypothèse explicative de tous les textes et de tous les récits dont nous disposons ? Qu’un homme nommé Jésus de Nazareth a effectivement existé et provoqué pas mal de remous à Jérusalem — hypothèse simple et qui explique tout cela d’un coup?? Ou bien qu’un gigantesque complot, comprenant des milliers de ramifications a été ourdi par une bande d’Hébreux en sandales, animés par le désir de mourir en martyrs pour des histoires qu’ils avaient inventées ? » (Catholix Reloaded, Cerf, 2015)

Lire aussi : Jean-Christian Petitfils : « Onfray ne semble pas vraiment au fait de son sujet »

La seconde hypothèse est tellement irrationnelle et peu crédible qu’elle a complètement été abandonnée au niveau académique. À la lumière des travaux récents sur la fiabilité historique du Nouveau Testament, l’historien Graham Stanton, conclut ainsi : « Aujourd’hui, presque tous les historiens, qu’ils soient chrétiens ou non, acceptent que Jésus ait existé et que les Évangiles contiennent beaucoup d’informations valables (…). Il y a un accord général pour dire que, mis à part peut-être Paul, nous en savons beaucoup plus sur Jésus de Nazareth que sur n’importe quel chef religieux ou païen du Ier ou du IIe siècle. » (The Gospels and Jesus, Oxford University Press, 2002)

En quoi les arguments d’Onfray justifiant l’inexistence de Jésus sont-ils faux ?

Michel Onfray accumule une grande quantité d’arguments fallacieux pour tenter de nier l’existence de Jésus (il serait trop long de tous les mentionner ici). Pour prendre quelques exemples, il affirme que Nazareth n’existait pas au 1er siècle alors que toutes les recherches archéologiques montrent le contraire : on y a retrouvé une maison, une ferme, des poteries, des pièces de monnaie datant bien de l’époque de Jésus. Bref, l’existence de la ville de Nazareth ne fait même plus débat parmi les archéologues.

Il affirme également que toutes les sources non chrétiennes auraient été trafiquées sans aucun argument. Cela ne tient pas debout d’après les spécialistes de critique textuelle. Quel intérêt y aurait-il pour des moines copistes à trafiquer intégralement les neuf sources non chrétiennes dont nous disposons pour leur faire mentionner la simple existence de Jésus à une époque où personne n’en doutait ? Il semble que la production d’un faux texte par des chrétiens juste pour attester de l’existence de leur héros manque tout simplement de motif. À l’époque, vouloir convaincre les gens de la simple existence du Christ, cela revenait à prêcher des convaincus !


« Il faut avoir un cerveau sacrément malade pour en arriver à croire que l’Évangile de Jean est le fondement idéologique du nazisme »

Matthieu Lavagna

Enfin, Michel Onfray rejette évidemment par principe toutes les sources chrétiennes mentionnant l’existence du Jésus historique affirmant qu’elles ne comptent pas pour prouver son existence, sous prétexte qu’il s’agirait de textes « qui ne sont pas historiques mais religieux » (Théorie de Jésus, Albin Michel, 2023). Cependant, rejeter l’ensemble des sources chrétiennes sous prétexte que leurs auteurs sont religieux et déjà convaincus de l’existence de Jésus est un raisonnement tout à fait fallacieux. En effet, le fait qu’un auteur soit biaisé ou qu’il veuille nous convaincre que quelque chose est arrivé ne suffit pas à le discréditer d’avance puisque le fait d’être biaisé n’implique aucunement qu’il soit incapable de rapporter des faits. L’historien athée Bart Ehrman confirme cela manière claire et nette : « Nous ne rejetons pas les récits des premiers Américains sur la guerre d’Indépendance simplement parce qu’ils ont été écrits par des Américains. Nous tenons compte de leurs préjugés et prenons parfois leurs descriptions des événements avec des pincettes. Mais nous ne refusons pas de les utiliser comme des sources historiques. Les récits contemporains de George Washington, même s’ils sont écrits par ses partisans dévoués, sont toujours valables en tant que sources historiques. Refuser de les utiliser revient à sacrifier les plus importantes voies d’accès au passé dont nous disposons, et ce pour des raisons purement idéologiques et non historiques. Il en va de même pour les Évangiles. Quelle que soit l’opinion que l’on a d’eux en tant qu’Écritures inspirées, on doit les considérer et les utiliser comme des sources historiques importantes. » (Did Jesus exist ?, HarperOne, 2012)

La deuxième partie du livre revient sur toutes les accusations portées contre l’Église catholique par Onfray. Grosso modo, de quel ordre sont-elles ?

Les accusations de Michel Onfray à l’égard de l’Église catholique manifestent une véritable exécration du christianisme au sens large. Tous les registres du discours anti-chrétien sont mobilisés : la négation de faits historiques, l’insulte, le mépris, la diffamation, reprenant tous les poncifs de la polémique anticatholique : l’Église est ainsi accusée d’être à la fois misogyne, criminelle, antisémite et nazie. Onfray nous ressort les attaques classiques : les croisades, l’Inquisition, l’Église soi-disant opposée à la science, le prétendu nazisme de Pie XII ou encore le catholicisme d’Adolf Hitler !

Justement, prenons le cas le plus emblématique, le plus choquant aussi : le supposé antisémitisme de Jésus qui en ferait plus ou moins un précurseur d’Hitler. Pouvez-vous nous présenter les pièces du dossier ?

Effectivement, Michel Onfray affirme ni plus ni moins que Jésus-Christ (dont il nie l’existence !) serait lui-même antisémite : « Dans l’Évangile selon Jean, ne lit-on pas que Jésus a lui-même dit que les Juifs ont “le diable pour père”(VIII, 44) ? Les autres Évangiles regorgent de références antisémites […] Ce Christ qui n’aime pas les Juifs est donc un “grand fondateur de nouvelle doctrine” et cette nouvelle doctrine, en tant qu’elle est antisémite, et vigoureusement antisémite, est vraie. Ce sera donc celle du national-socialisme théorique en même temps que du nazisme dans la pratique. Le fouet du Christ deviendra chambre à gaz »(Décadence) « L’évangile de Jean (II, 14) n’interdit pas la lecture philo-chrétienne et antisémite d’Hitler, mieux : il la rend possible. […] Les chambres à gaz peuvent donc s’allumer au feu de saint Jean. » (Traité d’athéologie)

Lire aussi : Théorie d’Onfray

Pour répondre aux délires d’Onfray, il suffit de faire remarquer que, lorsque Jésus affirme que les juifs ont « le diable pour Père », il ne parle pas des Juifs en général. Dans le contexte de Jean 8, il s’adresse particulièrement aux pharisiens et aux maîtres de la loi, pas aux Juifs dans leur totalité. Il est donc absurde d’accuser Jésus d’être antisémite d’autant plus que lui-même était juif et issu d’une lignée 100 % juive ! Michel Onfray confond la réprimande des grands prêtres et des pharisiens et la haine des juifs au sens générique. Il faut avoir un cerveau sacrément malade pour en arriver à croire que l’Évangile de Jean est le fondement idéologique du nazisme. Toutefois, Michel Onfray persiste et nous assure également que Hitler était un « disciple de saint Jean » (Traité d’athéologie) et que « aussi gênante que soit l’idée, Hitler fut chrétien – comme l’antisémite saint Jean Chrysostome ou le partisan du glaive croisé saint Bernard de Clairvaux. » (Décadence)

Plus grave encore, il affirme que l’Église catholique aurait activement collaborée au génocide juif ! Là encore, il faut le lire pour y croire : « L’acmé de cette haine réside dans la collaboration active du Vatican et du nazisme. Puis, chose moins connue, du nazisme avec le Vatican. Car Pie XII et Adolf Hitler partagent un certain nombre de points de vue, notamment la détestation des juifs sous toutes leurs formes. » (Traité d’athéologie) Le lecteur sera donc ravi d’apprendre que « Le mariage d’amour entre l’Église catholique et le nazisme ne fait aucun doute »et que« ce ne fut pas un mariage de raison, commandé par l’intérêt de la survie de l’Église, mais une passion commune et partagée pour de mêmes ennemis irréductibles : les juifs et les communistes » (Traité d’athéologie). Évidemment tout cela est d’une stupidité qui dépasse l’entendement et je m’applique à réfuter chacun de ces points dans mon livre.


« Il existe une véritable différence entre ce que dit publiquement Michel Onfray et ce qu’il écrit. L’un agresse le christianisme avec une virulence d’une extrême violence, l’autre tient des propos assez mesurés sans tomber ouvertement dans l’insulte. »

Matthieu Lavagna

On présente souvent Onfray comme ayant eu une évolution intellectuelle sur le christianisme, au point que certains le croient au seuil de la conversion. Qu’en pensez-vous ? Son œuvre témoigne-t-elle d’une telle évolution ?

Il s’agit là d’un mythe largement répandu dans la sphère catholique. Combien de fois ai-je entendu certains de mes amis catholiques me dire que Michel Onfray s’était « adouci » à l’égard du christianisme et « qu’il n’était plus aussi virulent qu’avant » ? Malheureusement, les catholiques qui émettent de telles assertions n’ont jamais vraiment lu Michel Onfray sur ces questions. La plupart d’entre eux n’ont jamais ouvert son livre Décadence (2017), qui réitère exactement les mêmes attaques à l’égard de la foi chrétienne que son Traité d’athéologie publié douze ans plus tôt. L’image qu’ils se font de lui se fonde principalement sur ses sorties médiatiques à la télévision. Or, il existe une véritable différence entre ce que dit publiquement Michel Onfray et ce qu’il écrit. L’un agresse le christianisme avec une virulence d’une extrême violence, l’autre tient des propos assez mesurés sans tomber ouvertement dans l’insulte. Ainsi, contrairement à ce que beaucoup pourraient croire, il y a une continuité quasi parfaite dans la pensée de Michel Onfray au sujet du christianisme à l’écrit, bien qu’il n’ose pas (ou plus) afficher cette virulence dans les médias.

Comment comprendre qu’il ait publié cette Théorie de Jésus au moment même où il prend publiquement le parti de défendre la civilisation chrétienne ?

Michel Onfray admire la civilisation chrétienne pour des raisons culturelles, artistiques, architecturales, c’est vrai. En revanche, il exècre profondément la doctrine du christianisme. Il est important de bien distinguer le christianisme en tant que religion révélée et la culture chrétienne. On peut détester l’un tout en appréciant l’autre, ce qui est le cas de Michel Onfray.


Les malheurs de sophiste

Après l’excellent Soyez rationnel, devenez catholique !, le jeune théologien Matthieu Lavagna revient avec une Libre réponse à Michel Onfray. Préfacé par Jean-Christian Petitfils, cet ouvrage entend démonter la thèse mythiste défendue par Michel Onfray dans l’ensemble de son œuvre,depuis le Traité d’athéologie en 2005jusqu’à sa récente Théorie de Jésus. Un pari réussi. Dans un texte clair et implacable, l’apologète répond citation par citation aux dires d’Onfray à propos de Jésus, de l’histoire du christianisme antique et de ses principales figures telles que saint Paul. Pour étayer son propos, il invoque des sources laïques fiables, sur lesquelles l’ensemble des universitaires enseignants sur le sujet s’accordent, et rétablit par ailleurs quelques vérités quant à l’interprétation que l’on peut faire des Évangiles. En bref, c’est avec efficacité et bon sens que Lavagna balaie les thèses du philosophe, ainsi que ses virulentes accusations à l’égard de l’Église catholique, tout en invitant ses lecteurs à mieux connaître le Jésus historique. En creux, son ouvrage nous pose une question : si le philosophe accorde aussi peu d’importance à la fiabilité, à l’exhaustivité et à l’interprétation de ses sources, quel crédit peut-on donner à la centaine d’autres livres qu’il a écrits ? JB


LIBRE RÉPONSE À MICHEL ONFRAY : NON, LE CHRIST N’EST PAS UN MYTHE, MATTHIEU LAVAGNA
Artège, 257 p., 18,90 €

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