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Le 15 novembre avait lieu, au Centre culturel et spirituel orthodoxe russe, le vernissage de l’exposition des peintres non-conformistes. Un pan d’histoire de l’art et de la Russie soviétique à découvrir jusqu’à la fin du mois. Fascinant.
L’exposition des peintres non-conformistes est l’occasion, pour ceux qui ne s’y seraient encore rendus, de découvrir également la nouvelle cathédrale orthodoxe de Paris, dont les bulbes dorés scintillent désormais devant le pont de l’Alma. C’est d’ailleurs sous le patronage de Monseigneur Nestor, évêque de Chersonèse, qu’était mercredi soir présentée l’exposition de ces peintres dissidents par Victor Scherrer, le collectionneur qui les a soutenus, a rassemblé leurs toiles, et signe le livre associé à l’exposition, livre édité par Grégoire Boucher (Éditions TerraMarre), lequel est ensuite intervenu, avant que le peintre Vladimir Titov monte à son tour sur l’estrade pour dire en russe l’importance du primat spirituel. Les liens entre la France et la Russie étaient par ailleurs spécialement mis en valeur par le fait que la plupart de ces peintres menacés – voire emprisonnés – par le régime qui séduisait alors les intellectuels parisiens, avaient choisi la France pour asile, dans les années 70, à l’instar de leurs princes en 17.
Pédérastes et bulldozers
« Êtes-vous hommes ou pédérastes ? » Cette question, qu’on devine rhétorique, c’est Khrouchtchev qui la pose en 1959, en découvrant les toiles de ces artistes dérogeant aux canons du réalisme socialiste, et qui ont pu profiter de « l’entrebâillement du rideau de fer » – après la mort de Staline – et des expositions de peintres occidentaux en Russie pour revivifier une peinture russe dont les ambitions formelles avaient été gelées depuis les années 20 par les rigueurs du climat idéologique. C’est donc dans les premières années d’un bref « dégel » qu’éclot cette « Seconde avant-garde russe », d’abord de manière ouverte, puis, après la colère de Khrouchtchev – cet exemplaire plouc bolchévique (« Quels sont ces visages ? Tu ne sais pas dessiner ? Même mon petit-fils va mieux dessiner ! »), de manière clandestine. En effet, plus encore après une mythique « exposition des bulldozers » (1974), où nos peintres « dégénérés » furent chassés par les machines en question après avoir été frappés et qu’eurent été déchirées certaines toiles, continuer de peindre comme ils le font – à ciel ouvert dans le paradis rouge – mène illico chez le psychiatre, voire au goulag. On n’arrête pas le Progrès.
Une seconde avant-garde
Le terme de « Seconde avant-garde russe », que l’on doit au poète Mikhaïl Grossman, est à prendre très littéralement, dans le sens que ces peintres déviants rejouent l’esprit de la Première avant-garde durant la seconde moitié du XXe siècle, à ceci près qu’ils explorent ces voies en-dehors de toute école, sans le moindre manifeste et aucune injonction collective. Tandis qu’en France, Mathieu et Soulages développent des abstractions lyriques ou noires, des voies presque symétriquement opposées au réalisme figé du Bloc de l’Est, les irréguliers du même Bloc reprennent les explorations formelles du tournant du XXe siècle, mais ils s’y jettent en solo – l’aventure intérieure et, de fait, secrète, prenant le pas sur le défi général. Anatoly Vassiliev développe un « synthétisme métaphysique », et, s’inspirant des icônes russes, travaille dans des directions similaires à celles des nabis en France, donnant des peintures post-impressionnistes qui tendent vers l’abstraction symbolique, tout à fait éblouissantes. Svechnikov poursuit clairement, quant à lui, la trajectoire du pointillisme, et si certaines toiles de Kilionsky évoquent Miro, il y a du futurisme dans le magnifique « Valet de carreau » de Nemoukhine, peintre dont Kanadourov fait un fabuleux portrait comme à demi émergé d’un rêve. Le « Métro » de Titov, datant de 1987, montre des hommes dissous dans les relativités du temps et de l’espace en élaborant une envoûtante « épaisseur fantomatique ».
Le Progrès par l’Esprit
À l’exposition des toiles – un ensemble riche, varié, de grande qualité, qui, par l’effet d’amoncellement hétéroclite, donne presque le tournis – succède une salle où sont présentés les artistes dans leurs destinées singulières et leur histoire collective. C’est un prisme aux arêtes vives que présente cette fraction récente de l’histoire de l’art, puisque les rapports entre art, introspection, mystique, totalitarisme, représentation, progrès, réaction, s’y articulent de manière violente, déroutante et contrastée. En réalité, ces peintres dissidents, renouant avec la dimension métaphysique de certaines des premières avant-gardes et œuvrant en secret ou en exil, frayent un troisième chemin, étroit, sinueux, entre deux autoroutes du Progrès. En effet, refusant le progrès socialiste pris dans une représentation grossière et factice, sans s’engager dans le progrès occidental poussant à la déréalisation, à l’abstraction puis au concept ; se distinguant tout autant de la matière lourde que de la matière devenu flux d’énergie, ces peintres s’en tiennent au progrès comme aventure de l’esprit et à des toiles qui ne sont ni des tracts ni de froides expériences, mais des mues intérieures. Ce n’est qu’au terme de la visite et par cette trajectoire sensible, qu’on saisit enfin ce qu’avait énoncé le peintre Vladimir Titov à son orée et que nous n’avions pas compris directement faute de savoir le russe : que toutes ces visions nous parlaient en réalité de la primauté de l’esprit. Ce qui vaut pour tout temps ; ce qui distingue la seule véritable avant-garde.
« Peintre russes non-conformistes », collection Victor Scherrer
Centre Spirituel et Culturel Orthodoxe Russe
1, quai Branly, 75007, Paris.
du 16 au 30 novembre 2017,
Peintres russes NON conformistes, de Victor Scherrer,
TerraMare,
208 p. – 25€.
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