À peine élu à l’Académie française, Éric Neuhoff se fait embrouiller par Julie Neveu, une obscure linguiste, qui le traite (dans Libération du 9 novembre dernier) d’« écrivain-boulanger », titre revendiqué par mon ami Bertrand Lacarelle, mais visiblement employé ici dans une volonté de dénigrement. Aujourd’hui, l’habit vert vous transforme en cible. Je finis par avoir honte d’avoir moi-même joué à le viser autrefois. C’est que cette lubie me semblait encore obéir aux règles du xxe siècle : l’avant-garde isolée se fait une réputation d’insolence sur le dos des barbons couverts d’honneur, l’institution assumant un genre de rôle œdipien qui la renforce dans sa double nécessité de pérenniser une tradition et de stimuler son renouvellement. J’ai peut-être été candide et nostalgique.
En effet, depuis quelques années, ce ne sont plus les poètes bravaches qui vont chahuter le bicorne, mais des universitaires de gauche, comme l’inénarrable Laélia Véron qui s’affiche sur les réseaux avec un tee-shirt « Académie de ses morts » (même ma petite sœur n’oserait pas). Sa consœur Julie Neveux emboîte donc le pas de charge. La coupole est assiégée, mais ce n’est plus du tout pour les mêmes raisons ni par les mêmes brigades. Minute, papillon.
Faisons un point sur les hostilités. Les nouveaux assaillants se prévalent de l’aura des poètes subversifs, sauf qu’ils en incarnent l’exact opposé. Ce ne sont pas des têtes brûlées au feu d’une inspiration nouvelle qui taclent l’Institution créée par Richelieu, mais les fonctionnaires titularisées d’une autre institution, aux réflexes de commissaires politiques, décidées à mettre au pas l’Académie en lui déniant sa légitimité. Et à comparer, il est vrai que les Immortels, avec leurs costumes baroques, leurs rites insolites et leurs trajectoires singulières, passent pour des Apaches ; des Apaches que voudraient verbaliser les égaliseurs, pour non-conformité avec le sens de l’Histoire.
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Comme Neuhoff répond en traitant la linguiste de « petite instit’ bornée », oubliant sans doute qu’on est en 2025, le voici lapidé pour blasphème antiféministe. J’aimerais ajouter mon grain de poivre en faisant remarquer que la formule employée par Neuhoff est rigoureusement correcte. D’abord, comme Véron, Neveu joue à l’experte alors qu’elle ne sait pas écrire français. « La teneur en pensée du cinéma, affirme-t-elle pour éreinter Neuhoff, flirte avec le néant, aplatie qu’elle est par le sexisme crasse. » Eh bien, professeure, admettez qu’une « teneur » qui « flirte », c’est assez inconsistant, mais alors quand cette teneur se fait aplatir (était-elle épaisse ?), l’image devient confuse avant que l’on s’étonne que l’agent aplatisseur se révèle être « le sexisme crasse », formule qui nous permet de déduire que vous supposez l’existence d’un sexisme chic, idée pour le moins amusante lorsqu’on considère l’habituel manichéisme de vos conceptions. Lorsque plus loin, dans votre pamphlet amateur, vous reprochez à Neuhoff les pensées de l’un de ses personnages, citations extraites d’un roman dont le titre, Mufle, expose tout de même un rien la distance que l’auteur prend avec son narrateur, on vous croit coincée au procès Bovary à ne pas saisir les arguments de Flaubert. C’est qu’en plus de ne pas savoir écrire, vous ne savez pas lire. Je n’ai pas de sœur, mais en revanche, je ne crois pas mentir en affirmant que vous êtes objectivement médiocre, pompeuse et limitée, comme l’a résumé Neuhoff. Je doute que ce soit une insulte faite aux femmes que de l’affirmer, mais c’est assurément injurier l’esprit que de prétendre le contraire.
C’est aujourd’hui au nom d’une science molle, dévoyée par les idéologues, et qui n’use de ses moyens que pour illustrer ses présupposés que les Immortels se voient brocarder. Des linguistes encartés opposent le fonctionnement moyen du langage, voire son entropie, à la tentative toujours recommencée de sa normalisation supérieure. C’est le fleuve de boue contre le dôme. Dans cette perspective, notre camp est vite choisi.
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