Rendez-vous était donné au café de Flore, repaire historique de l’intelligentsia parisienne, antre de cette élite mondialisée honnie par ces Gilets jaunes qui défrayent l’actualité depuis novembre. Attablé en terrasse, Juan Branco, coiffé d’une chapka blanche lui donnant des airs d’anarchiste serbe des années 1900, est prêt à deviser de son livre contre le système Macron (Crépuscule) et plus généralement de la situation prérévolutionnaire qui embrase la France comme l’ensemble du monde occidental. L’ancien candidat insoumis aux législatives en Seine-Saint-Denis est aujourd’hui lancé contre la macronie triomphante de mai 2017.
Vous avez publié sur votre blog un ouvrage intitulé Crépucuscule, relatif au « système » Macron. Pourquoi ce choix en pleine crise des Gilets jaunes ?
J’ai commencé cette enquête en septembre en anticipant la nomination de Gabriel Attal au gouvernement, donc avant le déclenchement de la crise des Gilets jaunes. Je voulais tenter de comprendre comment l’ascension d’un individu d’apparence insignifiante, que personne n’avait vu venir, avait été mise en œuvre, et pourquoi elle n’était nulle part décryptée.
Il s’agissait d’exposer les mécanismes qui ont présidé à la montée en puissance d’un personnage qui ne s’était jamais fait connaître pour rien de particulièrement notable, et qui pourtant est devenu le plus jeune ministre de la Ve République, pour expliquer plus globalement le fonctionnement du système. Ce que j’ai découvert ne me l’a pas fait regretter. La nature, insaisissable pour quiconque n’appartiendrait pas au système des logiques ascensionnelles en notre République, répond à des logiques de cour et de corruption de la pire espèce.
J’ai commencé mon enquête lorsque j’ai découvert que Bruno Jeudy avait consacré dans Paris Match pas moins de trois articles successifs à cet inconnu au cœur de l’été. Suffisamment étrange pour que cela attire mon attention. Alors, j’ai tiré les fils et commencé à comprendre, découvrant l’appui que lui avait offert Stéphane Séjourné, conseiller politique d’Emmanuel Macron et partenaire de Gabriel Attal, qui lui avait octroyé une circonscription en or avant de l’imposer à Richard Ferrand afin qu’il lui attribue des responsabilités à l’Assemblée nationale ; puis avait défendu sa candidature en tant que porte-parole de La République en Marche, l’imposant quelques semaines via l’Élysée à la matinale de France Inter face à Léa Salamé, etc.
Chemin faisant, en septembre, je rencontre l’auteur de Mimi qui m’apprend que cette dernière vient de se mettre au service de Benjamin Griveaux et de Gabriel Attal avant l’été. Et là, je commence à comprendre. Mimi Marchand, c’est la femme qui a permis, via Xavier Niel et l’homme de main d’Arnaud Lagardère, un certain Ramzy Khiroun, à Emmanuel Macron, alors illustre inconnu, d’obtenir vingt-neuf Unes dans Paris Match en quelques mois et d’ainsi être projeté dans l’espace public comme une star de télé-réalité.
Ce qui m’intéresse est de décomposer la façon dont les élites sont fabriquées de nos jours, c’est-à-dire en dehors de tout processus démocratique, et d’en rendre visible ses mécanismes aux personnes qui en sont éloignées. Et, alors que je préparais mon texte, j’ai la confirmation de mes premières intuitions, puisque Gabriel Attal est nommé ministre de la Jeunesse, après une rocambolesque opération. C’est là que le plus drôle arrive, et me pousse à aller plus loin dans mon investigation : alors que son ascension a été méticuleusement préparée depuis plusieurs mois par l’Élysée et ses relais médiatiques, tous les journalistes sortent le violon et font mine de s’émouvoir des extraordinaires ressorts de l’impétrant.
Cet épisode m’a donné envie d’étendre mon champ d’investigation à la macronie dans son ensemble, sachant que je pouvais compter sur mes accès privilégiés au sein de leurs réseaux. Mon but est alors devenu de mettre en évidence les mécanismes qui ont permis la cooptation de M. Macron par les élites parisiennes, puis sa présentation aux Français.
Ce que je tente de démontrer, c’est qu’avec son « en même temps », Emmanuel Macron ne s’adressait pas au peuple, mais proposait à ces élites une solution en échange de leur inféodation : fusionner les anciens réseaux concurrents, étouffer toute alternance démocratique – qui leur apparaissait de toute façon déjà fictive – en les recouvrant d’une façade moderne et creuse, de façon à légitimer une distribution de prébendes plus constante et uniforme, sans plus de coût symbolique.
Le tout en utilisant pour le légitimer vis-à-vis du public, la stratégie du « c’est moi ou le chaos ». Le clivage droite-gauche nié par l’apparition de l’extrême droite dans l’espace politique « classique » n’aura eu que cet effet : permettre aux élites de s’émanciper des contraintes que lui imposaient les alternances qui faisaient que seul tel ou tel pan de l’oligarchie était servi par chaque mouvement et d’unifier leur pouvoir de telle façon qu’ils ont définitivement déséquilibré nos institutions.
On a pu constater l’importance des bébés DSK dans le dispositif Macron, où figurent des gens comme Ismaël Emelien, Benjamin Griveaux, Cédric O, Sibeth N’Diaye ou Stanislas Guérini. Qu’en pensez-vous ?
Ce n’est pas l’élément principal à mon avis. Emmanuel Macron s’est tout simplement contenté de piller les anciens réseaux DSK pour construire rapidement l’infanterie qui lui manquait – sa propulsion répondant à des impératifs d’urgence tels qu’ils ne lui avaient pas même permis de constituer ses propres troupes. Mais il l’a fait aussi avec d’autres réseaux : les réseaux Jouyet, les réseaux Descoings, une partie des réseaux Moscovici, le tout avec l’appui de Bernard Arnault et de son gendre Xavier Niel, et quelques autres affidés.
Il n’y a pas de présupposé idéologique là-dedans : l’idéologie est subordonnée à une logique d’intérêts, en un système économique plus général qui, dans les grandes lignes, en faisant de l’intégration à la mondialisation libérale son seul credo, nous a de fait amenés à fonctionner comme une sorte de néo-colonie américaine, intégrés dans un système économique et culturel où les vassaux – nos dirigeants (...)
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