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Astroturfing : le bot caché

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Publié le

1 avril 2022

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Bots, fakenews, informations dissimulées : et si tout avait commencé avec l’astroturfing ? Historique de la manipulation des masses à l’ère contemporaine.
drogue 3.0

Utilisé pour la première fois en 1986 par le sénateur du Texas Lloyd Bentsen, le terme astroturfing désignait alors un faux mouvement citoyen manipulé ou monté par de gros cabinets de lobbying. Aux Etats-Unis, les mouvements venus de la base de la population sont en effet appelés grassroots movement. Astroturfing est donc un jeu de mots faisant tant référence aux mouvements susnommés qu’à la marque de pelouse artificielle Astroturf. La technique préexiste d’ailleurs à son baptême. Richard Nixon disposait ainsi d’une équipe chargée d’écrire aux courriers des lecteurs de médias américains pour vanter sa politique

Depuis lors le terme a fait florès, permettant de nommer différentes techniques de simulations et de récupérations de mouvements spontanés afin de manipuler l’opinion. À l’origine, le terme astroturfing s’appliquait uniquement au monde de la propagande politique, mais l’apparition d’internet a démocratisé ces techniques, désormais utilisées par des entreprises commerciales, des groupes philanthropiques, ou même de simples particuliers. Certaines agences se sont même spécialisées en la matière, produisant à la chaîne de faux commentaires positifs et négatifs sur des sites d’évaluation des marques. Ces commentaires, publiés par exemple sur TripAdvisor, ont pour objectif d’augmenter la visibilité d’une marque ou de dénigrer un concurrent.

Lire aussi : Quand les sondages font la campagne

Le danger est tel qu’un géant comme Amazon a fini par être obligé de mettre au point un algorithme de détection des faux commentaires.  TripAdvisor, qui enregistre 100 nouveaux commentaires à la minute s’appuie sur une équipe de 200 personnes dont l’unique travail est de trier les contenus. Après avoir constaté que de nombreuses pages Wikipedia étaient modifiées par des groupes de pression divers (entreprises, marques, formations politiques), le groupe a créé Wikiscanner pour ne plus subir ces tentatives de réécriture. Il faut savoir qu’en France, les faux avis peuvent entraîner des amendes de 300.000 euros et des peines de prison d’un à deux ans. S’agissant d’une entreprise, l’amende peut constituer 10 % de son chiffre d’affaires.

Cette propagande mensongère peut aussi prendre des formes beaucoup plus subtiles. Ainsi, un expert peut volontairement cacher son appartenance à une formation politique ou des liens financiers avec une société qu’il défend dans les médias. L’idée étant d’ajouter à un témoignage ou un avis le poids de l’indépendance supposé d’un universitaire et d’occulter un conflit d’intérêts. Des Etats peuvent industrialiser la technique, fédérant de véritables armées d’internautes astroturfers de manière à étouffer une opposition politique ou pour décrédibiliser des critiques.

Durant la campagne des primaires de LR 2017, Alain Juppé avait été la victime d’une campagne d’astroturfing improvisée, renommé « Ali Juppé » sur les réseaux sociaux dans des tweets le montrant revêtu en islamiste. Il peut être difficile de réagir à une telle campagne, comme l’explique très justement le chercheur belge Nicolas Vanderbiest : « Réagir à l’émetteur, c’est faire ce qu’il veut. Pour la personne visée, soit elle réagit et fait la publicité de la rumeur ou de l’attaque, soit elle laisse faire et donc elle cautionne. »

La Russie a développé la technique à l’échelle industrielle, se dotant cyniquement d’une agence paraétatique appelée l’Internet Research Agency.

La Russie a développé la technique à l’échelle industrielle, se dotant cyniquement d’une agence paraétatique appelée l’Internet Research Agency. Basée à Saint-Pétersbourg, l’IRA a été créée par l’oligarque Evgueni Prigojine lié au tristement célèbre groupe militaire privé Wagner. Cette société privée, mais placée au service du Kremlin, employait en 2015 400 personnes dont l’unique tâche consistait en la propagation de fausses informations sur les réseaux sociaux. Elle est accusée d’avoir influencé les élections présidentielles américaines, en créant  notamment des pages Facebook dédiés à accentuer les fractures au sein de la société américaine, certaines de type « Black Lives Matters » ou « Woke », d’autres plus proches des mouvements libertariens, pro-life ou encore favorables à la libre détention d’armes. QAnon a ainsi été plus tard largement relayé par l’IRA.

En France, la pratique de l’astroturfing est restée longtemps limitée, n’étant apparue qu’avec l’avènement des réseaux sociaux. Les groupes militants constitués sur Facebook ou Twitter peuvent facilement orienter l’information en décidant d’opérations coordonnées, en mettant par exemple en avant des faits divers et en les liant à des hommes politiques. Le meilleur moyen de se prémunir contre l’astroturfing reste donc de l’anticiper. D’abord en détectant en amont l’émergence d’une tendance ou d’une rumeur. La suite appartient aux communicants et aux personnes visées. Il n’y a pas une réponse à apporter, mais des réponses différentes à adapter en fonction de la situation rencontrée. Face aux trolls et aux bots, une intelligence non artificielle reste une valeur sûre !

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