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Bagrat, l’évêque symbole de la résistance arménienne

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Publié le

17 mai 2024

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Face aux capitulations répétées du Premier ministre Nikol Pachinyan avec l’ennemi azéri, l’évêque Bagrat lève un mouvement de résistance pacifique pour sauver la patrie arménienne. Analyse d’Aram Mardirossian, professeur agrégé de droit à Paris I Panthéon-Sorbonne et directeur de la Chaire de Droits et institutions des chrétientés orientale à l’École Pratique des Hautes Études.
© Capture d'écran Facebook

« Arménien, Arménie, Patrie et Dieu ! » C’est avec ce slogan qui marie la nation à la religion que Bagrat Galstanyan, l’archevêque du diocèse de Tavouch, a entamé le 4 mai une marche depuis sa province en direction de la capitale. Son but est de protester contre la énième abdication du Premier ministre Nikol Pachinyan face au régime criminel d’Ilham Aliyev, en l’occurrence, la cession de quatre villages arméniens frontaliers.

Le mouvement contestataire baptisé « Tavouch au nom de la patrie » est arrivé le 9 mai – jour de la commémoration de la victoire de 1945 contre l’Allemagne nazie – à Érévan où s’est tenue une manifestation qui a réuni plus de 50 000 personnes. Depuis, ce courant pacifique qui réclame prioritairement la démission de Pachinyan prend de l’ampleur. Pris de panique, celui-ci a jeté le masque du démocrate pour montrer son vrai visage, celui d’un dictateur dont la police a déjà violemment appréhendé plusieurs centaines de manifestants. Dans l’Arménie de Pachinyan, la résistance est muselée.

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Julien Freund parlait d’or : « L’ennemi vous choisit. » Mais Pachinyan n’a jamais lu le philosophe français. Depuis la défaite subie lors de la guerre des 44 jours à l’automne 2020 qui a précédé la perte totale de l’Artsakh (Haut-Karabagh) en septembre 2023, il n’a jamais voulu désigner l’ennemi mortel qui, pourtant, ne cache pas sa volonté génocidaire de détruire totalement ce qu’il reste d’Arménie. Soutenu inconditionnellement par la Turquie de son « frère » Erdogan, Aliyev considère le territoire souverain de la République d’Arménie – dont il occupe déjà près de 250 km2  – comme l’« Azerbaïdjan occidental ». En retour, Pachinyan exauce toutes les injonctions humiliantes que lui imposent les Turco-azéris : changer de constitution, d’hymne national, d’armoiries dont les contenus offenseraient ceux-ci ! Il consent aussi à renoncer à la continuité historique de l’Arménie, à la reconnaissance du génocide de 1915, au sort des prisonniers Artsakhiotes détenus à Bakou, aux liens avec la diaspora arménienne, etc. Nous sommes en présence d’un mouton qui pense se sauver en suppliant le loup prêt à l’égorger de devenir végétarien !

En retour, Pachinyan exauce toutes les injonctions humiliantes que lui imposent les Turco-azéris : changer de constitution, d’hymne national, d’armoiries dont les contenus offenseraient ceux-ci !

Aram Mardirossian

Sous prétexte d’un pseudo-réalisme, Pachinyan terrorise sa population traumatisée par les récentes guerres. Il martèle ainsi que, faute de satisfaire aux capitulations ordonnées par les Turco-azéris, Aliyev déclencherait immédiatement une nouvelle guerre à laquelle l’Arménie n’est nullement prête. Pachinyan a tout faux ! Les Turco-azéris ne comprennent que la force et plus l’Arménie se montrera faible, plus ceux-ci seront encouragés à lui appliquer leur « solution finale ». De plus, l’Azerbaïdjan qui a scandaleusement obtenu l’organisation de la COP 29 en novembre prochain, ne déclenchera aucune opération militaire significative d’ici cette date. Au lieu de se réarmer massivement pour tenter de faire de l’Arménie une forteresse coûteuse à attaquer, Pachinyan cède toujours plus.

Sidérée et hébétée depuis le conflit de 2020, le peuple arménien amorce enfin une réaction grâce à l’Église apostolique. À travers le mouvement initié par l’archevêque Bagrat qui est soutenu par le catholicos Gareguin II, l’Église arménienne renoue avec son rôle historique. Premier pays officiellement chrétien au début du IVe siècle, l’Arménie a consubstantiellement lié son sort à cette religion. Lorsque la royauté disparaît entre 428 et 884, puis définitivement en 1375, c’est l’Église – devenue autocéphale dès 374 – qui constitue l’unique institution centralisée du pays. Elle devient ainsi une Église-nation, qui s’affirme comme la seule instance autorisée à parler au nom du peuple arménien.

Martelons que contrairement à une antienne chantée urbi et orbi, le message originel de Jésus le Christ était à la fois politique et religieux ! Le fameux « Mon Royaume n’est pas <originaire> de ce monde » (Jn 18, 36) est aujourd’hui aussi mal saisi que le non moins célèbre « Rendez à César ce qui revient à César et à Dieu ce qui revient à Dieu » (Mc 12, 17, etc.) qui n’a que progressivement engendré – notamment après la conversion de l’empereur Constantin Ier en 312 – l’interprétation selon laquelle l’État se chargerait du temporel et l’Église du spirituel.

Ainsi, quand l’État disparaît ou, comme aujourd’hui en Arménie, agit ouvertement contre les intérêts de la patrie, il est légitime que l’Église intervienne pour essayer de préserver ceux-ci. Le principe de séparation entre le spirituel et le temporel ne représente qu’un moyen au service de la fin que constitue le salut des nations. Dès lors, l’accomplissement de ce but supérieur peut parfaitement passer par l’intervention politique de l’Église.

Ainsi, quand l’État disparaît ou, comme aujourd’hui en Arménie, agit ouvertement contre les intérêts de la patrie, il est légitime que l’Église intervienne pour essayer de préserver ceux-ci.

Aram Mardirossian

Il est vital pour l’Arménie que Pachinyan quitte le pouvoir. Toutefois, le nouveau gouvernement qui le remplacera ne doit aucunement être incarné par les forces politiques qui ont dirigé l’Arménie avant l’homme de la désastreuse « révolution de velours » de 2018. Incapables de bâtir un véritable État et souvent corrompues, elles ont gravement fragilisé le pays et ainsi contribué à la situation actuelle. De nouvelles figures doivent émerger, qu’il s’agisse de laïcs ou d’ecclésiastiques. Seuls comptent la compétence et le dévouement sincère à l’Arménie et à son peuple. Surtout, la doctrine suprême du nouveau pouvoir doit être fondée sur les deux symboles qui figurent – encore – sur les armoiries de l’Arménie : la croix et l’épée, autrement dit, la puissance spirituelle et la force temporelle, l’âme et le corps.

Aujourd’hui, cet îlot du christianisme oriental qu’est l’Arménie n’a pas besoin que les puissances occidentales l’abreuvent de discours sur les « valeurs démocratiques », les droits de l’homme et alii. Rappelons que l’Artsakh peuplé par les Arméniens depuis 3 000 ans vient d’être purement et simplement rayé de la carte. Or, l’Occident parangon des « valeurs démocratiques du monde libre » a fermé les yeux sur le nettoyage ethnique complet des 150 000 Artsakhiotes, accompagné de massacres et moult barbaries commis par l’Azerbaïdjan. C’est d’abord des armes qu’il faut envoyer aux Arméniens ! Las, tandis que des dizaines de milliards d’euros d’aide militaire ont été offerts à l’Ukraine, à ce jour, l’Arménie n’a reçu qu’une quantité dérisoire de matériel peu dissuasif. La France doit se libérer de sa soumission servile aux États-Unis – qui ne s’opposeront jamais à la Turquie membre de l’OTAN – pour renouer avec une politique étrangère souveraine et gagnante.

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Ainsi, pour Paris, soutenir Érévan, c’est aussi défendre ses propres intérêts en empêchant la gangrène de l’islamo-panturquisme de se répandre toujours plus, car après l’Arménie, notre tour ne tardera pas. Il a même déjà commencé, comme le montre le soutien de l’Azerbaïdjan, appuyé par la Turquie, à des groupes séditieux en Nouvelle-Calédonie et dans les autres territoires d’Outre-Mer, sans parler des crimes commis en métropole par des organisations violentes tels que les Loups gris.

Le mouvement porté par l’archevêque Bagrat pourrait mutatis mutandis être comparé à l’appel du 18 juin lancé par le général de Gaulle !  Certes, nul ne sait encore s’il aboutira, mais après des années de ténèbres, pour la première fois, une mince lueur d’espoir point dans le ciel arménien. Alors revient en mémoire la prophétie de Malachie (4, 2) : « Le Soleil de justice se lèvera pour vous qui avez une crainte respectueuse pour mon nom, et vous trouverez votre salut sous ses ailes. »

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