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Entretien avec Barnabás Leimeiszter, journaliste à Mandiner. Site d’informations et d’opinion conservateur créé en 1999 par les jeunesses du Fidesz de Viktor Orbán, Mandiner assume sa proximité avec l’exécutif actuel et vient de lancer un hebdomadaire papier paraissant chaque jeudi en kiosques.
La chute de Budapest constitue-t-elle une vraie défaite pour Orban ?
La bataille la plus importante des élections municipales en Hongrie a toujours été celle de Budapest, sa chute a une importance symbolique qu’il ne faut pas sous-estimer. En 2010, la conquête d’une capitale traditionnellement libérale, gouvernée jusqu’alors par une figure prééminente de l’élite politico-intellectuelle gauchiste, avait été un signe puissant du tournant droitiste de la politique hongroise. Maintenant la capitale revient à la gauche, même si István Tarlós a été un fort respectable maire de Budapest. Mais ce n’est pas la seule lutte que Fidesz a perdue : n’oublions pas que l’opposition a remporté la victoire dans la majorité des quartiers de la capitale et dans 10 des 23 principales villes (en 2014, ce nombre était de 3 seulement). Ces échecs qui ont étonné tout le monde peuvent être le signe de la transformation du paysage politique hongrois.
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Jusqu’ici, la domination de Fidesz reposait sur ce que Viktor Orbán a nommé un champ de forces central : le centre de l’échiquier politique était occupé par un parti énorme et hyperpuissant, avec d’un côté un parti d’extrême droite de taille moyenne (Jobbik) et de l’autre côté de petits partis de gauche – l’incapacité des deux côtés de l’opposition d’unir leurs forces étant la garantie du pouvoir de Fidesz. Pourtant, après les élections législatives de 2018 – un raz-de-marée en faveur de Viktor Orbán avec des tentatives d’alliance avortées entre partis de gauche et un Jobbik de plus en plus modéré – les élections municipales ont vu la coopération quasi totale de l’opposition. C’est cette coopération assez désespérée qui a porté ses fruits dans la forme de la conquête de Budapest et de nombreuses grandes villes. Les prédictions des éditorialistes de gauche et des politiques de Fidesz sont étrangement similaires : fin des raz-de-marée, luttes plus serrées, retour à la dualité politique qui était caractéristique de la politique hongroise avant 2006.
La politique de Fidesz n’est pas belle, elle est rudement populiste, c’est vrai. Mais elle est efficace – le conservatisme élitiste, poseur, est destiné à la défaite.
Il faut pourtant souligner que le pouvoir de Fidesz n’est pas, pour le moment, en danger. La coopération de l’opposition s’est avérée effective, mais elle n’a pas récolté plus de votes qu’aux élections précédentes. La domination de Fidesz dans les sondages semble inébranlable. En outre, si l’opposition a triomphé dans certaines villes, en province, dans les petites villes et les villages – les habitants auxquels la gauche a définitivement renoncé – l’hégémonie de Fidesz s’est davantage solidifiée. Il ne s’agit donc pas d’une véritable défaite de Fidesz, mais des victoires simultanées du gouvernement et de l’opposition.
Le Fidesz doit-il changer ?
Sans doute. La transformation du paysage politique nécessite de nouvelles stratégies – le parti d’Orbán ne peut pas céder les villes à l’opposition. Un facteur important des pertes de Fidesz était le fait qu’il n’ait pas réussi à mobiliser les votants urbains de droite – l’intelligence conservatrice, pour ainsi dire, qui semble de plus en plus mécontente de la politique du gouvernement.
Une semaine avant les élections, un blog a publié des photos et des vidéos compromettantes de Zsolt Borkai, maire de Györ, grande ville de nord-ouest depuis 2006. Borkai, champion olympique de gymnase en 1988 et ancien président du Comité olympique hongrois, a participé à une orgie avec des prostituées sur un yacht sur la mer Adriatique. Le blogueur qui se présente comme un « avocat » antérieurement impliqué dans les affaires sinistres de l’élite de Fidesz, a accusé le maire de corruption, mais il a promis aussi de publier des photos qui montrent Borkai en train de consommer de la cocaïne. Cette promesse n’a pas été tenue, et il est très probable que l’avocat anonyme ne soit que la création adroite des acteurs de partis d’opposition, mais le choc n’était pas moins fort.
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L’affaire Borkai, largement médiatisée, a bouleversé la campagne du Parti gouvernant qui n’a pas été capable de trouver une méthode de communication efficace face au scandale, d’autant plus qu’il n’était plus possible de remplacer Borkai sur le bulletin de vote. Avec les fesses nues de Borkai, un symbole est né : celle de l’arrogance, de la suffisance, de l’hypocrisie de l’élite proche du parti chrétien conservateur, pour ne pas parler des pratiques douteuses dont l’opposition et les médias de gauche accusent le pouvoir. L’affaire et le fait que Borkai n’ait pas renoncé à sa candidature a bien pu dissuader les intellectuels bourgeois de soutenir Fidesz aux élections. Ironiquement, Borkai a remporté l’élection à Gyor, mais son histoire a coûté la victoire de plusieurs maires très compétents et honnêtes de Fidesz, dont István Tarlós.
S’il veut éviter les échecs semblables dans l’avenir, Fidesz devra entamer un processus de purification intérieure, se passer des types comme Borkai – mais il devra aussi diversifier sa communication de façon à attirer plus les électeurs urbains.
Le positionnement du Jobbik est très mystérieux pour des Français : qu’en est-il réellement ? A–t-il changé, et si oui, pourquoi ?
Aux alentours de 2016, Jobbik, parti jusqu’alors ouvertement raciste et antisémite, avait commencé à modérer ses positions sous la direction de son président, Gábor Vona, dans l’espoir de séduire les électeurs de droite mécontents de Fidesz, mais aussi des électeurs de gauche, et de devenir un véritable parti populaire. D’un jour à l’autre, Vona et les figures extrémistes de Jobbik ont commencé à jouer aux politiques respectables à l’européenne, Vona est allé jusqu’à faire la cour aux personnalités importantes de l’élite médiatico-intellectuelle de la gauche. Cette manoeuvre était trop ridicule pour qu’on les prenne au sérieux et n’a eu d’autre conséquence que la perte de tout caractère, la vacuité idéologique totale du parti. Aux élections législatives, Jobbik n’a pas pu élargir sa base, et aujourd’hui, il n’est soutenu que par 6-7 % de la population ce qui est sans doute dû au fait que le parti est entré dans la coopération avec des figures comme l’ancien Premier ministre, le hideux Ferenc Gyurcsány. Le destin de Jobbik est l’insignifiance.
Partagez-vous les avis de certains observateurs comme Mate Botos sur la réduction de certaines libertés (universitaires, judiciaires) ?
Certes, la gouvernance de Fidesz a des éléments qu’on peut critiquer – je pense à une attitude parfois excessivement agressive, une communication souvent désagréable et trop simpliste, des pratiques douteuses comme celles de Borkai. Pourtant, même si le système actuel a des caractéristiques autoritaires, la Hongrie est une démocratie, comme le succès de l’opposition aux élections municipales le prouve. Je souligne que le gouvernement met en place une politique on ne peut plus conservatrice : défense et promotion de la conception traditionnelle de la famille, rejet des « innovations » sociales des progressistes, du multiculturalisme et de l’immigration de masse, mais aussi rejet de l’utopie de l’Europe fédérale. À cette politique conservatrice s’ajoute une politique économique effective. Avec Orbán, on peut être certains que la droite hongroise ne sacrifiera pas son âme et ses convictions sur l’autel de l’aggiornamento comme les partis de droite d’Allemagne et de la Grande-Bretagne. C’est une rare vertu, il faut l’apprécier.
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J’ai l’impression qu’une partie de l’intelligence conservatrice hongroise ne peut pas sortir des années 90, et continue à rêver d’une droite modérée, raffinée, élégante, bourgeoise, en oubliant que dans un contexte postmoderne, à l’époque des réseaux sociaux, d’une guerre culturelle de plus en plus effrénée, on ne peut pas se permettre de caresser ces illusions. La politique de Fidesz n’est pas belle, elle est rudement populiste, c’est vrai. Mais elle est efficace – le conservatisme élitiste, poseur, est destiné à la défaite. Bien sûr, cette efficacité ne peut pas servir d’excuse à toutes les erreurs de Fidesz, mais les illusions du passé – notamment celle de la modération – sont le plus grand obstacle devant l’épanouissement d’une nouvelle pensée conservatrice, illibérale.
Propos recueillis par Hadrien Desuin et Jacques de Guillebon
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