La culture japonaise a longtemps souffert d’une image caricaturale, la faute à des tropes qui sont relayés à partir des années 80, alors que le pays commence à exporter massivement ses produits culturels : cinéma, mangas, littérature. On célèbre d’un côté les tenants d’une « tradition » que sont Kawabata et ses Belles Endormies (aujourd’hui il serait probablement accusé de « pélicotisme ») ou encore le magistral Kenzaburo Oé de Dites-nous comment survivre à notre folie. Avec en surplomb ce soleil noir qui brille à jamais dans le firmament des lettres japonaises et qui s’appelle Yukio Mishima, anomalie fulgurante, comme un retour d’acide de l’impérialisme mystique au cœur des années 50. En contrepoint, la littérature des années 90 impose une singularité quasi-surréaliste, servie par l’ambiance électrique des mégalopoles japonaises où jamais rien ne dort, et qu’engrossent les névroses et fantasmes d’un peuple sous pression. La France découvre au début des années 90 les « deux Murakami » : le premier, Haruki, avec La Fin des Temps (dont le tout récent La Cité aux murs incertains est la suite plus ou moins officielle) s’inscrit dans un projet romanesque que certains grands écrivains sud-américains, comme Roberto Bolano : un « post-exotisme » avant l’heure où les fondations du réel sont fébriles, où quelque chose comme le sentiment d’un complot contre le monde apparaît déjà chez le personnage-type murakamien, une sorte de fonctionnaire kafkaïen amateur de trombones. L’autre Murakami, Ryu, incarne un versant plus punk, en décrivant sans fard les milieux interlopes de Tokyo, dans des brûlots antisociaux qui rappellent, à peu près au même moment, le cinéma viscéral de Shinya Tsukamoto (Tetsuo). [...]
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