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Claude Blanchemaison, ex-ambassadeur de France en Russie : « L’accession au pouvoir de Poutine est le fruit de la rencontre du hasard et de la nécessité »

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Publié le

10 avril 2018

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Diplomate français, Claude Blanchemaison fut ambassadeur de France en Russie de 2000 à 2003. Il connaît donc bien le complexe pays des Tsars de l’intérieur. Alors que Vladimir Poutine a été triomphalement réélu, nous avons cru bon recueillir un éclairage sur la vie politique russe, mais aussi l’influence qu’elle a sur notre propre paysage politico-médiatique. À droite, la Russie poutinienne génère de nombreux fantasmes. Pour une partie de la gauche, au contraire, la Russie fait figure d’épouvantail. Et si la réalité se situait à mi-chemin des admirations des uns et des détestations des autres ?

Propos recueillis par Laurent Gayard et Gabriel Robin

 

Vladimir Poutine est-il le dirigeant modèle des « démocraties illibérales » ? Et même, allons plus loin, n’est-il pas l’inventeur de ces nouveaux régimes, autrefois nommés « dictatures éclairées » ?

L’expression « démocratie illibérale » est relativement récente et désigne des pays européens dont le régime politique a évolué vers la prééminence d’un parti dominant et la restriction de libertés publiques. L’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine, il y a dix-neuf ans, a largement précédé l’apparition de cette expression. L’accession au pouvoir de Poutine est le fruit de la rencontre du hasard et de la nécessité, dans une Russie où Boris Eltsine avait consacré toute son énergie à briser la machine communiste étroitement imbriquée avec l’appareil d’Etat. La « famille » du premier Président de la Russie post-soviétique et la nouvelle élite qui l’entourait avait besoin d’un homme nouveau, efficace et déterminé pour mettre de l’ordre dans la Maison Russie et pour rétablir l’autorité de l’Etat. Vladimir Poutine l’a fait, à sa manière, c’est-à-dire la manière forte. C’est avant tout un Russe, désireux de rétablir ce qu’il appelle « la verticale du pouvoir ». Mais c’est aussi un pragmatique, plus soucieux d’efficacité que d’idéologie.

Son histoire se situe pour l’essentiel dans les trois villes qu’il a habitées : Leningrad / Saint-Pétersbourg, Dresde et Moscou. Elevé à Leningrad dans un milieu modeste, il fait beaucoup de sport, apprend l’Allemand, va au cinéma et rêve de devenir le James Bond russe. Il fait aussi des études de droit soviétique pour être recruté à l’école des cadres du KGB de Moscou, où il sera un élève plus studieux qu’à Leningrad. Il est finalement affecté à l’antenne du KGB de Dresde, en Allemagne de l’Est, où il va connaître un traumatisme majeur, en assistant en direct à l’effondrement du Mur de Berlin et d’un régime communiste réputé fort. Il en tirera des leçons sur la fragilité des systèmes politiques et sur l’efficacité des théoriciens néo-conservateurs américains du « Regime change ». Il se montrera donc hostile à toutes les « Révolutions de couleur » dans l’ancien espace soviétique. Comme tout bon Russe, il aura abondamment recours à la « théorie du complot » pour les expliquer.

Elevé à Leningrad dans un milieu modeste, il fait beaucoup de sport, apprend l’Allemand, va au cinéma et rêve de devenir le James Bond russe.

Son poste à Dresde ayant disparu en même temps que la RDA, Vladimir Poutine revient, à trente-sept ans, avec sa famille dans sa ville natale redevenue Saint-Pétersbourg, pour y servir pendant cinq ans son ancien professeur de droit Anatoli Sobtchak devenu premier Maire élu démocratiquement, dont Poutine devient le premier vice-maire en 1994. Après l’échec électoral de Sobtchak en 1996, Poutine rejoint le groupe des Pétersbourgeois au Kremlin, grâce au soutien d’Anatoli Tchoubais, et réalise une ascension fulgurante au sein de l’administration présidentielle. Deux ans plus tard, il est nommé Chef du renseignement intérieur (FSB) et en août 1999, il devient Premier Ministre et gagne les élections législatives à la fin de l’année, après avoir engagé la deuxième guerre de Tchétchénie. Il remplit désormais toutes les conditions pour succéder à Boris Eltsine, qui se retire à bout de souffle le 31 décembre 1999.

Elu Président de la Fédération de Russie en avril 2000, il poursuit la guerre contre les indépendantistes tchétchènes, met au pas les Oligarques qui avaient fait fortune lors des privatisations sauvages du début des années 90 et développé des médias critiques à l’égard du pouvoir, désigne sept Représentants Plénipotentiaires (Super-Préfets) pour remettre de l’ordre dans le pays et poursuit pas ailleurs l’ancrage pro-occidental de la politique étrangère de son prédécesseur. Plus tard, il modifiera le mode de désignation des Gouverneurs de Région, désormais directement nommés par le Kremlin, pour renforcer la « verticale du pouvoir ». Au cours de son deuxième mandat, il prendra progressivement ses distances vis-à-vis de l’Union Européenne, avec laquelle il avait pourtant engagé la négociation d’un Espace Economique Commun, ainsi qu’avec les Etats-Unis, qui commençaient à parler de l’instauration d’un bouclier anti-missiles et d’une adhésion future de la Géorgie et de l’Ukraine à l’OTAN. Le discours de Poutine au Forum de sécurité de Munich en février 2007 puis la guerre de Géorgie en août 2008 marquent le tournant pris par rapport à l’Occident. Les événements de 2014 en Ukraine déclencheront une série de sanctions et de contre-sanctions, aggravées aujourd’hui par les divergences sur la Syrie et par les accusations d’interférences dans le processus électoral américain. De ce fait, Vladimir Poutine s’est rapproché de l’Iran et de la Turquie, à la recherche de l’introuvable solution politique en Syrie. Il se montre par ailleurs familier avec la Chine qui poursuit cependant ses propres objectifs à long terme, en tissant patiemment ses Nouvelles Routes de la Soie.

 

Vladimir Poutine a-t-il véritablement une opposition populaire ? Quand les médias occidentaux montraient les soutiens en faveur de Navalny, on pouvait avoir l’impression qu’un mouvement de contestation était en train de se lever, mais, à la vérité, il semble n’en n’être rien.

Vladimir Poutine a réussi à façonner le paysage politique et à instrumentaliser la plupart de ses composantes. Il s’appuie sur un parti dominant « Russie Unie » qui a, à sa gauche, le Parti Communiste, et à sa droite plusieurs forces politiques : les Ultra-Nationalistes, les Libéraux et les partisans d’un Etat de droit luttant contre la corruption. Lors des élections présidentielles du 18 mars 2018, le candidat du Parti Communiste, Pavel Groudinine, qui n’a d’ailleurs pas sa carte du Parti et qui s’est fait connaître comme un chef d’entreprise agricole qui a réussi, est arrivé en deuxième position mais avec un score inférieur à celui fait en 2012 par le candidat traditionnel du Parti, Ziouganov. A l’extrême droite, l’éternel Jirinovski a fait un score modeste. Le traditionnel candidat libéral, Iavlinski, a obtenu un score médiocre. Le soi-disant candidat des milieux d’affaires, Titov, a obtenu un résultat insignifiant. Quant à Ksenia Sobtchak, fille de l’ancien maire libéral de Saint-Pétersbourg et premier mentor de Poutine, elle a fait une entrée modeste en politique mais son jeune âge lui permettra sans doute de se représenter dans l’avenir.

Vladimir Poutine a réussi à façonner le paysage politique et à instrumentaliser la plupart de ses composantes.

Aucun de ces candidats ne menaçait fondamentalement le régime Poutine et plusieurs commentateurs ont suggéré que tel ou tel d’entre eux était en fait l’instrument du Kremlin. La candidature d’Alexei Navalny avait été rejetée par la Commission électorale présidée par Mme Panfilova, en raison de ses affaires judiciaires. Bien qu’il bénéficie d’une bonne image en Occident, ce spécialiste des enquêtes anti-corruption dirigées contre les puissants du Régime avait, à l’époque, approuvé l’annexion de la Crimée. En revanche, la population russe a des réactions d’hostilité lorsque des catastrophes surviennent et qu’il apparaît qu’elles sont dues aux manipulations, à la corruption ou à l’incurie des Autorités. Vladimir Poutine n’est pas à l’abri de manifestations d’hostilité au système, lorsque celui-ci montre son inefficacité ou sa duplicité. Ce fut le cas récemment avec l’incendie d’un Centre Commercial  à Kemerovo, en Sibérie. Aucune des règles de sécurité n’était respectée, sans doute parce que les contrôleurs avaient été achetés par les responsables du Centre. Des enfants sont par ailleurs morts dans la salle de cinéma dont les portes avaient été fermées à clef.  Face à l’émotion soulevée par cette catastrophe, Vladimir Poutine a dû se rendre sur place. Il ordonné une enquête mais n’a pas pris de sanctions immédiates.

 

Qu’en est-il de l’influence et du rôle des médias russes ? Représentent-ils en Russie un contre-pouvoir efficace ? Des médias, tels que RT ou Sputnik, ont-ils une capacité d’influence importante à l’étranger notamment en France ? Que peut-on dire du softpower russe ?

D’une manière générale, la ligne politique des chaînes de télévision russes dépend étroitement du Kremlin. Vladimir Poutine a gardé un très mauvais souvenir de la manière dont les chaînes contrôlées par Beresovski ou par Gousinski, oligarque magnat des médias et ancien parrain de la radio L’Echo de Moscou, avaient traité la catastrophe du naufrage du Sous-marin Nucléaire Lanceur d’Engins Koursk au mois d’août 2000. Il les a donc contraints à céder ces actifs à des entités proches du Gouvernement.  A cette occasion, il a obtenu la suppression des marionnettes Koukli (type Guignols de l’info) qui ridiculisaient le pouvoir. En revanche, la radio contestataire « Echo de Moscou » a pu conserver sa ligne éditoriale critique bien que son actionnaire majoritaire soit Gazprom-Media.

 

Lire aussi : La maison Poutine est encore solide

 

Cependant, rien n’empêche un Russe de capter, s’il le souhaite, une télévision occidentale. Cela n’est le cas, en pratique, que d’une infime minorité. La presse écrite est certes majoritairement favorable au Gouvernement mais certains titres ont pu sauvegarder leur liberté de critique. Aujourd’hui, le débat s’est déplacé sur le sujet des médias numériques qui sont nombreux en Russie et qui se renouvellent pour échapper à la surveillance. Internet, parfois accusé d’être un instrument au service des Etats-Unis d’Amérique, fait l’objet d’un contrôle, néanmoins moins intrusif qu’en Chine. Les réseaux sociaux russes sont très actifs et l’imagination de leurs utilisateurs est sans limite pour échapper à la chasse aux mots-clefs et aux contraintes imposées par les autorités. La Russie a transformé par ailleurs l’agence Ria Novosti pour créer et développer les stations de radio Sputnik et de télévision Russia Today, en langue locale, dans certains pays-cibles. C’est maintenant le cas en France. Chacun sait qu’il s’agit de la voix officielle de la Russie mais on peut y trouver des informations intéressantes et mesurer la façon dont le Gouvernement russe présente les faits. Il y a aussi des débats faisant un peu plus de place au pluralisme des opinions. On peut considérer que ces initiatives constituent une contribution à la diversité des points de vue, par rapport à d’autres chaînes nationales destinées à l’étranger. Elles participent bien entendu du softpower russe qui a encore beaucoup de progrès à faire par rapport à la sophistication des softpower américain, britannique ou français.

 

Quels sont les principaux problèmes posés par la démographie de la Fédération de Russie ?

Les démographes prévoient une poursuite de la diminution de la population de la Fédération de Russie. Celle-ci correspond aujourd’hui à peu près à la somme de la population de l’Allemagne et de celle de la France. Le système de santé publique est défaillant et l’espérance de vie de la population est très inférieure à ce qu’elle est dans l’Union Européenne (70 ans en Russie, 82 ans en France). Le Gouvernement ne parvient pas à redresser durablement le taux de natalité, en dépit des primes instituées pour la naissance d’un deuxième et d’un troisième enfant.

Le Gouvernement russe continue de restreindre les possibilités d’immigration, même s’il a accueilli des russophones des nouveaux pays indépendants issus de l’Union Soviétique.

Il s’avère incapable de mettre en place une véritable politique familiale et de créer des perspectives de formation et d’emploi, dans un contexte d’incertitude sur la croissance économique. Le Gouvernement russe continue de restreindre les possibilités d’immigration, même s’il a accueilli des russophones des nouveaux pays indépendants issus de l’Union Soviétique. Il se méfie de la pression migratoire exercée par certains pays d’Asie centrale, d’autant plus que certaines activités attirent des travailleurs temporaires originaires de ceux de ces pays où le taux de chômage est très élevé, comme par exemple le Tadjikistan. La Fédération de Russie compte déjà plus de 12 % de musulmans auxquels les Autorités consacrent beaucoup d’intérêt. Vladimir Poutine visite les mosquées et réunit les Imams. Il compte aussi sur Kadyrov, Président de la Tchétchénie, pour canaliser les pulsions islamistes et, le cas échéant, « traiter » les combattants russophones revenant du Jihad.

 

Vladimir Poutine se montre agressif à ses frontières et même au-delà. Plus de quatre années après l’annexion de la Crimée, au mépris du mémorandum de Budapest, la Communauté internationale doit-elle se faire à l’idée qu’elle n’est plus une partie de l’Ukraine ?

La Russie se considère comme une « forteresse assiégée » et Vladimir Poutine en joue. Lorsque le Président géorgien a voulu, au mois d’août 2008, recouvrer la souveraineté effective de son pays sur l’Ossétie du sud par des moyens militaires, il a déclenché une intervention russe. Le Président français, alors Président en exercice du Conseil européen, Nicolas Sarkozy, a exercé avec succès une médiation entre Moscou et Tblilissi pour obtenir le retrait des troupes russes. Mais quand le Président Ukrainien Viktor Ianoukovich a annoncé qu’il ne signerait pas l’Accord d’association passé entre son Gouvernement et l’Union Européenne, la population de Kiev s’est révoltée. La tentative de médiation menée par les trois ministres des Affaires étrangères de France, d’Allemagne et de Pologne, avec la participation d’un Plénipotentiaire russe, a cette fois échoué lorsque le mouvement de Maïdan l’a rejetée et que Ianoukovich s’est réfugié en Russie. Dès lors, Moscou a craint qu’un Président pro-occidental ne s’installe à Kiev et que le sort de la base navale de Sébastopol ne soit remis en cause. La Crimée a été rattachée à la Russie après un référendum que l’Ukraine et la Communauté internationale ne reconnaissent pas. Une première série de sanctions a été prise par l’Union Européenne et les Américains. La déstabilisation ultérieure du Donbass a déclenché un second train de sanctions et de contre-sanctions russes. Aujourd’hui, le seul cheminement connu pour lever les sanctions afférentes à l’affaire du Donbass est celui décrit par les Accords de Minsk. Ce texte omet volontairement de parler de la Crimée, ce qui ne signifie pas que les pays occidentaux ou la Chine se sont fait une raison ; on peut éviter d’en parler pendant un certain temps mais une Conférence internationale devra un jour traiter le sujet. L’intervention russe en Syrie avait quant à elle pour objet de défendre les intérêts traditionnels de l’Union Soviétique puis de la Russie. La Syrie est l’allié principal de la Russie qui possède à Tartous sa seule base navale en Méditerranée. La Syrie y a fait former une grande partie de ses officiers et achète à la Russie beaucoup de matériel militaire. Ce conflit a été l’occasion pour la Russie de faire la démonstration de ses nouvelles capacités militaires. Reste à négocier une introuvable solution politique avec la participation de tous les acteurs de la région et des Membres permanents du Conseil de Sécurité.

 

Qu’est-ce qui pourrait réconcilier les occidentaux et la Russie ?

L’Union Européenne et la Russie sont deux entités voisines et complémentaires. Il est donc nécessaire qu’elles ouvrent un dialogue portant sur les sujets de désaccords, sur les thèmes qui font l’objet d’une convergence et sur les secteurs qui peuvent faire l’objet d’une véritable coopération. L’Union Européenne est, et restera, le premier partenaire économique et commercial de la Russie (les échanges avec les Etats-Unis représentent seulement un dixième de ceux réalisés avec l’Union Européenne).

L’Union Européenne et la Russie sont deux entités voisines et complémentaires.

Le Président de la République française et la Chancelière allemande pourraient proposer, dans cette perspective, l’idée d’un accord de coopération ad hoc entre la Russie et l’Union Européenne. A plus long terme, pour dissiper les préventions réciproques, la France et l’Allemagne pourraient proposer à la Russie la création d’un mécanisme d’échange massif de jeunes, s’inspirant des programmes d’échanges passés à partir des années 60. Les Etats-Unis, pour leur part, décideront lorsqu’ils y seront prêts des voies et des moyens pour renouer le dialogue stratégique avec la Russie.

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