Nihil sine Deo. George Simion, fondateur du parti AUR (Alliance pour l’unité des Roumains), ne semble pas être un obscur populiste des confins orientaux de l’Union mais le visage d’un phénomène politique : celui d’une Europe centrale en quête de dignité, d’ancrage identitaire et de souveraineté. Au petit matin du 16 mai, l’eurodéputée ECR Marion Maréchal décide de présenter celui qui est en passe de remporter l’élection présidentielle de son pays à la presse. La scène n’avait rien d’anodin.
« C’est un homme qui défend l’identité européenne, les racines chrétiennes de l’Europe. Comme nous, il veut que l’Europe maîtrise ses frontières, refuse le fanatisme vert et respecte la souveraineté des nations », souligne Marion Maréchal en guise d’avant-propos dans un des salons de l’Aéroclub de France. Et pour cause : Simion parle d’Europe, mais dans une langue que Bruxelles ne comprend plus.
Le ressentiment d’un peuple humilié
L’objet premier de la venue de George Simion en France n’était pas européen mais roumain : dénoncer l’annulation de l’élection présidentielle à Bucarest, qu’il considère comme un « véritable coup d’État démocratique ». La procédure, déclenchée sans preuve formelle de fraude, a provoqué un choc dans une Roumanie déjà éprouvée par les ingérences étrangères. « Nous aimons la France, le peuple français, sa culture. Mais nous ne respectons pas Emmanuel Macron, qui tente d’interférer dans notre processus électoral. Mon message est clair : allez-vous-en ! Ce n’est pas à Macron, à Zelensky, à Trump ou à Poutine de dicter la volonté du peuple roumain », martèle-t-il.
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Simion accuse explicitement Paris d’avoir orchestré, par l’entremise de son ambassadeur Nicolas Warnery, une tentative de sabotage électoral. « La Roumanie est aujourd’hui placée devant un faux choix : voter pour la Roumanie ou pour la France. Ce n’est pas juste. La France a été un modèle pour nous. Jusqu’au XIXe siècle, tous nos grands intellectuels venaient à Paris pour apprendre. Aujourd’hui, on annule les élections comme en Iran, et ce sont des ayatollahs qui décident qui peut être candidat. »
À travers le prisme roumain, George Simion brosse un tableau plus large : celui d’une Europe en train de perdre son âme démocratique. « Aujourd’hui, on nous appelle extrémistes pour nous éliminer des listes. Sans procès équitable, sans juge. Aujourd’hui, c’est moi. Demain, ce seront les écologistes, les transhumanistes ou les gauchistes. C’est le procédé qui est dangereux. »
Je ne suis pas l’ami de Poutine. Je viens d’un pays que la Russie n’a laissé qu’avec de mauvais souvenirs.
George Simion
Cette critique n’épargne pas la Commission européenne. Il fustige une administration qui « provoque pauvreté, insécurité, instabilité et extinction du monde occidental tel que nous le connaissons ». Le Green Deal ? « La meilleure façon de tuer le projet européen. » Quant aux traités européens, il accuse Bruxelles de vouloir les modifier en catimini, sans passer par les urnes : « Ils savent qu’ils perdraient. »
Le paradoxe est là. George Simion, en dépit de son discours de rupture, ne prône pas une sortie de l’Union : « Je ne veux pas quitter l’Union européenne. Nous avons attendu 14 ans pour avoir nos pleins droits. Nous ne sommes toujours pas dans l’espace Schengen, donc pas compétitifs sur le marché unique. Nous sommes là pour rester. »
La guerre en Ukraine : fermeté mais pragmatisme
Mais il veut une autre Europe : celle des nations. Et il appelle à la former autour d’un axe conservateur continental : Giorgia Meloni, Viktor Orbán, Santiago Abascal, Matteo Salvini… Ce que certains appellent « l’internationale réactionnaire ». « Nous avons plus en commun que de différences », souligne-t-il, assumant ses alliances. À ceux qui le disent trop proche de Moscou, il répond sèchement : « Je ne suis pas l’ami de Poutine. Je viens d’un pays que la Russie n’a laissé qu’avec de mauvais souvenirs. »
Si l’Europe continue dans cette voie, dans 20 ou 50 ans, on ne pourra plus parler de la France telle que nous l’aimons. Ce sera autre chose. Un califat, peut-être. Mais pas la France.
George Simion
George Simion dénonce l’agression russe contre l’Ukraine, appelle à « une position plus dure contre la Russie », mais plaide aussi pour un cessez-le-feu et des négociations de paix. « Cette guerre ne profite qu’au complexe militaro-industriel. Elle provoque des morts inutiles. » Il défend l’intégrité territoriale ukrainienne, tout en déplorant les « réflexes soviétiques » de Kiev, notamment dans le traitement des minorités : « Ils ferment des écoles roumaines. C’est une ligne rouge pour moi. » À rebours des envolées martiales, il s’oppose à toute escalade. « Je veux plus de troupes de l’OTAN en Roumanie, oui. Mais je ne veux pas que notre pays serve de base pour envoyer des troupes en Ukraine. La Roumanie est un pays pacifique. »
Immigration, insécurité, identité : les autres inquiétudes européennes
George Simion propose une lecture civilisationnelle des bouleversements européens. Pour lui, l’Union européenne actuelle « menace la continuité de notre civilisation judéo-chrétienne ». À Paris, il dénonce sans détour « l’insécurité, les prix inabordables, l’immigration de masse et l’idéologie LGBT ». « Si l’Europe continue dans cette voie, dans 20 ou 50 ans, on ne pourra plus parler de la France telle que nous l’aimons. Ce sera autre chose. Un califat, peut-être. Mais pas la France. »
S’il rejette les quotas de migrants en Roumanie, il tend la main à Paris pour faciliter le retour des Roumains en situation irrégulière. « Nous pouvons signer un accord pour que les criminels soient rapatriés et purgent leur peine en Roumanie », répond-il à un éminent confrère du Figaro.
La vérité, selon lui, c’est celle des peuples. Il évoque son propre parcours : des mobilisations civiques pour l’unification avec la Moldavie à la fondation d’un parti qui, en cinq ans, est passé de zéro à 41 % des suffrages. « La vague MEGA, Make Europe Great Again, va déferler sur l’Europe. »
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Simion s’adresse aux classes moyennes, aux oubliés, aux exilés. Il parle de ceux qui « travaillent dur en France, en Italie, en Espagne », et qu’il veut voir revenir dans une Roumanie « normale, prospère, de bon sens ». Il refuse les clivages ethniques, appelle les Roms à voter pour lui, et affirme ne pas vouloir « de migrants, ni de criminels dans notre pays ».
Il s’ancre dans une continuité historique, culturelle, politique. Et malgré les menaces – il dit avoir craint l’assassinat – il avance, sûr de son destin : « Dimanche, ce sera une victoire historique. » Ce serait bien plus qu’un symbole : le signe que l’Europe des peuples, des racines et des libertés n’a pas encore dit son dernier mot.