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Éditorial culture de novembre : Aspersions

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Publié le

4 novembre 2022

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« Ces jeunes gens hurlent de n’être pas exposés à l’admiration des foules, et s’ils se collent ensuite aux murs des musées, c’est bien pour réaliser leur fantasme d’être accrochés à la place de Monet et Van Gogh ». Éditorial culture du numéro 58 par Romaric Sangars.
Van Gogh

« Qu’est-ce qui a le plus de valeur : l’art ou la vie ? » demandaient les deux militantes écologistes qui, il y a quelques semaines, à Londres, jetaient de la soupe sur des tournesols de Van Gogh. Inutile de s’exciter comme ça les filles, si cette question vous torturait tant, il suffisait de nous la poser calmement, et nous aurions été en mesure de vous répondre sans délai : l’art, évidemment. Pulluler est à la portée de tout le monde, les microbes font ça depuis 2,8 milliards d’années, et franchement, c’est un peu répétitif. En outre, la vie livrée à elle-même, telle quelle, aveugle, débordante, affamée, ça vire souvent au désastre, à l’entre-massacre, au bûcher final. Des Allemands (qui s’y connaissent en bûcher final) ont pris la suite, dix jours plus tard, préférant la purée à la soupe, pour attaquer des meules sublimées par Monet à Potsdam. À croire qu’on en veut surtout aux paysages français et à l’impressionnisme et ses héritiers.

L’art ou la vie ? Mais l’art, précisément, c’est la vie contenue dans la vie. Il faut être sacrément binaire et premier degré pour voir une opposition là où il y a continuité dynamique

L’art ou la vie ? Mais l’art, précisément, c’est la vie contenue dans la vie. Il faut être sacrément binaire et premier degré pour voir une opposition là où il y a continuité dynamique. Les cisterciens disaient que l’ascèse spirituelle permettait d’accéder à la vie et à l’ombre de la vie. L’ombre de la vie, c’est la vie telle qu’elle se décrypte, telle qu’elle est cachée, c’est la vie qui manque à la vie, et l’art, entre autres, sert à la révéler, cette ombre qui manque à la vie. Mais la vie basse, la vie purement matérielle, seulement organique, les cisterciens disaient qu’il s’agissait là de la mort et l’ombre de la mort. Une vie promise à la pourriture et la mort, donc déjà la mort, mais dont on refuse de considérer l’issue, une issue qu’on voile, l’ombre de la mort. Si l’on prend en compte cette dichotomie plus subtile, plus réelle, pour méditer la question posée par nos écologistes, on n’oppose plus l’art et la vie, mais la vie couplée avec son ombre : l’art (les meules et les tournesols révélés dans leur splendeur cachée par Monet et Van Gogh) ou la mort se mentant à elle-même, soit la vie que ces gens-là défendent, une vie limitée au besoin de soupe ou de purée et qui a déjà perdu contre la mort, laquelle digèrera un jour ou l’autre ces existences intestinales.

Mais cette question sur la nécessité de l’art relativement aux souffrances matérielles de l’humanité a déjà été posée par Judas. Dans l’Évangile de Jean, alors que Marie Madeleine répand, non pas de la soupe, mais du parfum sur les pieds du Christ, le traître accuse : « Pourquoi n’a-t-on pas vendu ce parfum trois cents pièces d’argent pour les donner aux pauvres ? » Jésus répond de manière sibylline que des pauvres, nous en aurons toujours avec nous, mais que Lui, non, ce qui justifie le parfum répandu. Qu’en déduire ? Sans doute que l’art est ce parfum qui rend Dieu présent après qu’Il nous a visités et qu’Il n’est plus directement visible. Nous aurons toujours à composer avec la misère et, si nous devons la soulager autant que possible, nous ne l’éradiquerons pas plus que la mort et demeure, parallèlement à cette obligation, une nécessité de rendre le divin manifeste par l’aspersion de beauté dans ce monde en attente.

Lire aussi : Éditorial culture d’octobre : Changement de régime

Judas se fout des pauvres, en réalité, puisqu’il vole dans la bourse commune des apôtres. Nos écologistes de musée aussi, se foutent des pauvres, et même de la planète. Si l’on traduit leur action sous un prisme psychanalytique, si l’on cherche à comprendre ce que, derrière leur discours apparent, leur posture exprime, il apparaît évident que ces jeunes gens hurlent de n’être pas exposés à l’admiration des foules, et que s’ils se collent ensuite aux murs des musées, c’est bien pour réaliser leur fantasme d’être accrochés à la place de Monet et Van Gogh. Ils exigent d’être considérés avec autant d’intérêt. Les promesses de la téléréalité et d’Instagram les ont déçus. Désormais, ils saccageront tous les chefs d’œuvre du génie humain s’il le faut, mais il est hors de question qu’ils passent inaperçus. Le cours du quart d’heure de célébrité warholien est en hausse. On finira par brûler tous les monuments nécessaires pour l’obtenir. Ces activistes n’ont jamais aspergé que leur égo révolté contre les indices d’une grandeur qui les humiliait. Ils ont vendu Dieu pour trente deniers de notoriété personnelle et derrière tous les masques qu’ils ont brandis : soi-disant la planète, prétendument les pauvres, un seul masque réclame son exposition : celui de leur amour-propre. Mais derrière encore, nous qui savons lire la nature et ce qui vit derrière la nature, nous distinguons très bien un dernier masque, et qui sourit derrière leurs simagrées, et son nom est Satan.


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