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Éditorial culture de Romaric Sangars : Retour au rez-de-chaussée

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Publié le

7 juin 2023

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« Après un millénaire d’exploration artistique vertigineuse telle que l’Occident a su la conduire, l’humanité est donc redescendue au rez-de-chaussée. » Éditorial culture du numéro 65.
garage

Au Havre, square Claude Érignac, a été installée la « narrow house » – la maison étroite, œuvre du « sculpteur » autrichien Erwin Wurm. J’ai appris ça par les curieuses suggestions des algorithmes. Ayant délaissé l’art conceptuel pour mettre en scène des objets banals dans une direction absurde, et directement en prise avec la rue, Herr Wurm a donc construit cette maison difforme, laide, d’une aberrante étroitesse, semblant sortie d’un dessin animé, pour exprimer et faire partager aux passants le sentiment d’angoisse que l’étroitesse d’esprit de ses géniteurs lui imposa durant son enfance. Outre qu’on se fiche totalement de ses petits traumas, ce qui étonne dans sa démarche, après une longue trajectoire conceptuelle, c’est son désolant premier degré. On y voit un nouveau symptôme flagrant de la désymbolisation régressive : pour faire sentir l’étroitesse, on enferme le spectateur dans un truc étroit. Habile. Wurm, afin de raconter demain le douloureux souvenir d’un viol dans les vestiaires, va-t-il tenter d’enculer directement le curieux ?

Cette maison représente bien dans quoi trente ans de rétrécissement spirituel et d’inflation narcissique nous a relégués

On se retrouve devant le principe de cette fausse œuvre comme face aux expositions immersives. Le contemporain a-t-il les nerfs si claqués et le cœur si frigide qu’il faille à tout prix le jeter de force dans de grands bains de couleurs ou l’enfermer dans une boîte pour qu’il puisse commencer de ressentir quelque chose ? Il semblerait. Mais d’un autre côté, par un étrange paradoxe, tout est devenu choquant, insupportable, humiliant. La langue elle-même, dans son emploi le plus banal, serait une machine à exclure, à génocider symboliquement la moitié de l’humanité. Éric Naulleau, dans nos pages, déclare la guerre aux nouveaux puritains qui s’en prennent à la littérature, à la liberté, qui mutilent la langue et lancent sans cesse de nouvelles chasses à l’homme. Plus enragés que jamais, les Rousseau et consorts ont le réflexe délateur décomplexé. Depuis les pudeurs du politiquement correct américain qui voulait déjà nous faire rougir en 2000, les choses ont sacrément dégénéré. Et la sensibilité de ces spectateurs immergés, incapables de vibrer concrètement devant une matière symbolique seule, mais en même temps perpétuellement offensés par des phrases anodines, me paraît souffrir d’un inquiétant dérèglement. Il s’agit en fait d’êtres si violemment autocentrés qu’ils sont incapables de s’arracher à eux-mêmes si on ne les violente pas ; mais dont le « moi » débile est en permanence violenté par la réalité.

Lire aussi : Éditorial culture de Romaric Sangars : Écrivain n’est pas un projet d’avenir

Ces réflexions m’engagent à considérer la baraque de Wurm comme peut-être plus riche que je ne l’imaginais de prime abord d’une dimension allégorique. Ce n’est pas le petit Wurm qui est emprisonné dans l’étroitesse d’esprit de ses parents, c’est le grand qui se débat dans la sienne comme ce spectateur contemporain emmuré dans son « moi ». Cette maison représente bien dans quoi trente ans de rétrécissement spirituel et d’inflation narcissique nous a relégués. Incapable de s’élever au-delà de sa susceptibilité personnelle, le contemporain est également incapable de se projeter dans aucune œuvre, si celle-ci n’est pas un flux addictif ou une cave close. Après un millénaire d’exploration artistique vertigineuse telle que l’Occident a su la conduire, l’humanité est donc redescendue au rez-de-chaussée. Il serait temps de déménager.


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