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Éditorial culture de Romaric Sangars : Écrivain n’est pas un projet d’avenir

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Publié le

3 mai 2023

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« N’importe quel bon père de famille était en mesure de fournir un pareil conseil, que pute, non, ma chérie, ce n’est pas franchement un projet d’avenir, va plutôt passer ton bac. » Éditorial culture du numéro 64.
édito culture

Louise Brévins a publié chez Grasset, récemment, un petit récit intitulé Pute n’est pas un projet d’avenir. Je l’ai appris en écoutant France Inter, épreuve que je m’impose chaque matin ou presque, afin de savoir quelles sont les balises morales que 2 % de la population prétendent m’imposer, tout en faisant des pompes et en crachant, en position basse, sur la photocopie du portrait de Jean d’Ormesson. Non, je plaisante, c’est le visage de Virginie Despentes qui m’apparaît quand mes bras fléchissent. Toujours est-il que je me suis dit que je ne voyais pas l’intérêt de lire un tel texte pour en faire la critique, vu que sa vocation, le pur déballage, était mieux assumée par la radio et qu’il n’avait aucune réalité littéraire. C’était au contraire un symptôme caractéristique de ce qu’est en train de devenir la littérature: un argument sociologique porté au dossier woke, un dépôt de plainte minoritaire, avec un peu de cul pour mieux faire vendre. Faire la critique de tels objets n’implique pas qu’il faille les lire.

Devillers sembla également déçue que contrairement à l’histrionique Emma Becker, Brévins ne se soit pas éclatée au lit avec ses clients et que ça lui ait même plutôt annulé la libido

Au moins, l’autrice avait-elle un peu d’esprit à l’oral, elle employait le terme « puterie » pour parler de son ancienne activité, une tentative de résister à la castration de la langue par le politiquement correct, et imposait-elle à une Sonia Devillers déstabilisée un bel essentialisme sexuel appris sur le terrain, si je puis dire, en affirmant que le désir masculin se distinguait du désir féminin par sa virulence et le fait qu’il pût se résumer parfois à un besoin brut. « Ce n’est pas le cas pour les femmes ? » se révoltait l’animatrice. Et Brévins de lui répliquer l’évidence implacable d’une loi du Marché pas franchement symétrique, les rares hommes se vendant ayant en outre essentiellement des clients homos. Devillers sembla également déçue que contrairement à l’histrionique Emma Becker, Brévins ne se soit pas éclatée au lit avec ses clients et que ça lui ait même plutôt annulé la libido. Notre sémillante ex-pute osa même une fine remarque psychologique en exposant comment jouir avec un client impliquerait de se soumettre à son fantasme, de prendre son plaisir par procuration, en quelque sorte, dans un acquiescement total à la situation. Sonia ne suivait plus trop son interlocutrice au terme de cette soudaine échappée du mode binaire.

Si notre autrice avait poursuivi dans cette approche psychologique, elle se serait peut-être aperçue que son livre ne parlait pas tant de l’intensité de sa « puterie » que de celle de son amour pour sa fille, puisque c’est au nom de la sécurité matérielle de celle-ci qu’elle a subi le désir désespéré d’autant d’hommes. Certainement parce que sa propre angoisse maternelle n’était plus raisonnée par aucun conjoint, d’ailleurs. En outre, si elle s’était exprimée depuis cet angle, sans doute aurait-elle pu échapper à cette seconde prostitution que représente le fait de venir vendre au public son humiliation, sans doute aurait-elle pu aborder des rivages de sincérité autrement plus intrigants, et aurait-elle commencé, alors, de faire de la littérature. Mais cela aurait-il intéressé beaucoup de monde ? Cinquante ans de dégradation du niveau scolaire, vingt ans d’augmentation drastique de l’hypnose globale, voilà qui laisse peu de véritables lecteurs à disposition. Ce pourquoi, au contraire de pute, écrivain n’est plus du tout un métier d’avenir.

Lire aussi : Éditorial d’Arthur de Watrigant : Dix ans plus tôt

Le titre du livre, cette antiphrase racoleuse, ne manque pas de cocasserie. À quelle tiktokeuse décérébrée s’adresse-t-il ? Faut-il branler à la chaîne des inconnus pendant deux ans pour arriver à une telle conclusion et pouvoir partager son expérience à de jeunes ambitieuses un peu candides ? N’importe quel bon père de famille était en mesure de fournir un pareil conseil, que pute, non, ma chérie, ce n’est pas franchement un projet d’avenir, va plutôt passer ton bac. En somme, voici un livre qui n’a pas plus de substance qu’il n’a de forme. Voilà pour la critique. S’obliger à lire concrètement ces petites confessions sensationnelles pour en dire quelque chose, c’est désormais, pour moi, un scrupule qui appartient au passé.


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