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Éditorial de Jacques de Guillebon : De l’indépendance

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Publié le

3 mars 2023

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« N’est-ce pas toute indépendance, intellectuelle et morale, qui est menacée par notre pusillanimité et l’affairement matérialiste d’une génération entière ? » Post-scriptum du numéro 62 par Jacques de Guillebon.
Caïphe

Il est compliqué en ce bas monde de demeurer indépendant. D’abord matériellement : l’argent est concentré en si peu de mains qu’il est presque toujours nécessaire que s’applique le fameux dicton paradoxal de Chesterton, pour qui le problème du capitalisme n’est pas qu’il y ait trop de capitalistes, mais qu’il n’y en ait pas assez.

Ainsi, à la fin, quoique vous fassiez de votre force de travail, de quelque façon que vous décidiez de l’utiliser, son emploi demeure toujours suspendu au bon vouloir du capital qui la rémunère. Et historiquement, la balance capital-travail penche dangereusement vers le premier – sauf dans les économies « sociales » telle la France.

Mais il serait naïf de croire que le capital désarme jamais : l’offensive menée contre le système de retraite des Français, où derrière le gouvernement s’agitent sans déguisement des officines pour qui la capitalisation de nos retraites constituerait un bonheur sans mélange (enfin mettre main sur le magot), cette offensive a peu fait réagir les catholiques par exemple, en tant que catholiques. Sinon un excellent personnage comme Joseph Thouvenel, ancien patron de la CFTC que le lecteur croise souvent en nos colonnes, il semble que personne n’ait envie de se coller au sujet. Et pourtant, Jean-Paul II le Grand ne rappelait-il pas en 1987, dans Sollicitudo rei socialis que « la doctrine sociale de l’Église n’est pas une “troisième voie” entre le capitalisme libéral et le collectivisme marxiste, ni une autre possibilité parmi les solutions moins radicalement marquées : elle constitue une catégorie en soi » ? Il s’agirait donc de grandir et de commencer à raisonner enfin économiquement à partir et dans cette catégorie en soi.

Lire aussi : Éditorial de Jacques de Guillebon : Au-delà du réel

Car on n’a vraiment rien entendu chez les catholiques de France sinon, évidemment, pour défendre cette réforme Borne-Macron, qui mettra enfin au taf ce paresseux de Français qui ne cherche qu’à truander, chômer, roupiller et laisser les autres faire tout le boulot. En tout cas, c’est écrit dans les colonnes des grands journaux de droite, parfois même en réquisitionnant le pauvre Péguy, le socialiste, l’ami du peuple, à qui l’on fait marquer contre son camp en le mettant au service post-mortem du capital. Malheureux celui que l’on fait mourir une fois nouvelle dans une injuste guerre.

Mais au-delà de cette sombre histoire de retraite, où les idéologies françaises se coulent à nouveau dans le bronze de leurs certitudes et s’affrontent, heureuses de leurs certitudes respectives, bien décidées saignant sous les coups adverses à se refaire une identité (idéologies où l’on ne peut résumer la gauche et la droite, puisque macronistes et zemmouriens marchent main dans la main d’un côté ; lepénistes et mélenchonistes ensemble de l’autre), au-delà de cette histoire n’est-ce pas toute indépendance, intellectuelle et morale, qui est menacée par notre pusillanimité et l’affairement matérialiste d’une génération entière qui en cela ne le cède pas du tout à ses aînés, grands-pères soixante-huitards pleins aux as, mais même, leur en remontre ? Une génération qui a fait d’Elon Musk son demi-dieu, sorte de Trump sans gros nez rouge, au seul motif qu’il est multi-milliardaire, ce qui prouve bien son génie. Lol.

Le Saducéen a le capital vertueux. Il sait que l’argent n’a pas d’odeur, avant que lui-même lui en confère une. Le Sadducéen est un peu le diable des premiers temps : il ne se cache pas. Il achète à découvert. C’est un bon banquier

L’homme est si malin qu’il a cru que racheter Twitter et proclamer « liberté ! » tel le premier conventionnel venu (à quoi la droite a applaudi, en oubliant un instant Charette) allait changer la face du monde, ouvrir les portes de l’intelligence et de la sagesse au bon peuple qu’il abreuve autrement de divertissement imbécile.

Chez les chrétiens, pour qui le carême en cours sera certainement l’occasion de s’amender, on a l’excellente habitude de fustiger le Pharisien en soi-même, celui qui a chargé les épaules de son frère d’un fardeau trop lourd et jeté les clefs du royaume à force de scrupule.

On en oublie parfois l’autre adversaire du Christ, donc de nos âmes, le Sadducéen, celui qui tient le Temple et indique ce qu’il faut adorer, tout en percevant l’impôt nécessaire à cette adoration.

Le Sadducéen n’est pas hypocrite : il assume détenir et le capital et la formule qui permet de changer son or en fumet agréable à Dieu. Le Saducéen a le capital vertueux. Il sait que l’argent n’a pas d’odeur, avant que lui-même lui en confère une. Le Sadducéen est un peu le diable des premiers temps : il ne se cache pas. Il achète à découvert. C’est un bon banquier. Avec celui, tout va bien se passer, d’ailleurs, c’est écrit sur le contrat, avec lui, tout se négocie, et votre âme est entre de bonnes mains.

L’ivraie et le bon grain croissent si bien ensemble, qu’on ne s’y reconnaît plus à la fin, et d’ailleurs qui êtes-vous pour juger ? Personne, en effet.


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