« Tu compteras sept semaines d’années, sept fois sept ans, c’est-à-dire le temps de sept semaines d’années, quarante-neuf ans », avant de célébrer le jubilé. Ainsi parle le Lévitique. Chez les Hébreux, c’était alors le temps de la remise des dettes, et le retour des terres et des biens gagés entre les mains de leurs premiers propriétaires. Nous n’en sommes qu’à quarante-neuf modestes numéros pour notre part, mais cette année neuve est aussi l’occasion de la confession, voire du mea culpa, et peut-être du bilan de ce temps passé ensemble, chers lecteurs, chers abonnés.
Nous sommes nés après les multiples désastres de 2017, annus horribilis qui vit s’enchaîner les défaites dans le camp de la droite – ou des droites, le débat demeure sur leur qualification – et alors que tout semblait perdu, sous le joug d’un Macron-Jupiter tout-puissant, nous avons tenté de relever la tête, en unissant avec de modestes moyens mais de grandes ambitions les innombrables feux politiques, culturels, intellectuels qui consumaient de désir intérieur nos contemporains. Que nous y ayons réussi, ce n’est certes pas à nous de le dire, et à jouer avec le feu on s’y brûle parfois les mains. On aura pu nous reprocher alternativement de conspuer la droite bourgeoise, de taper sur le Rassemblement national, de décrier certaines méthodes zemmouriennes ; d’être et trop vulgaires et trop snobs ; d’être trop conservateurs et trop punks ; de choquer sans raison et de courber l’échine ; de vendre du papier quand l’heure est entièrement au digital et de nous aventurer parfois en des terrains obscurs et inattendus.
Nous avons été énervants, agaçants, à côté de la plaque parfois, trop extrêmes ou trop centristes
Nous avons été énervants, agaçants, à côté de la plaque parfois, trop extrêmes ou trop centristes. Certainement. Reste que nous n’aurons jamais « fait le jeu » de personne, sinon, voulons-nous croire, de nos idées et idéaux, qui s’appellent la France, notre civilisation, notre peuple, notre foi, nos arts et nos littératures. Nous aurons décidément essayé de parler avec et de tout le monde dont l’existence, la pensée et les mots nous apparaissaient comme valables et nécessaires à l’accomplissement du destin de notre temps.
Nous aurons régulièrement fâché – pas plus d’un cinquième de nos abonnés à chaque numéro selon l’immortelle formule de Péguy – nous aurons aussi tenté d’accorder notre soutien, de rassembler, de dispenser, à temps et à contre-temps comme voulait saint Paul, des leçons d’honneur, de résistance, d’amour et de fidélité.
Prétention encore une fois, certes, et nous ne disposons pas de la vérité, bien entendu. Cependant, dans la quête de celle-ci qui nous anime, nous aurons tenté et tenterons encore demain et pour mille ans, d’user de tous les moyens à notre disposition, même légaux, en confrontant les points de vue, les concepts, les différentes visions et versions du réel, jusqu’à pouvoir tenir, amochés peut-être mais sans avoir jamais trahi, sur la ligne de crête qui mène vers l’aurore de ces matins toujours nouveaux d’être éternels.
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Les luttes auront, et sont encore, épiques, autour de nous et à l’intérieur de nous, sur le libéralisme et le conservatisme; sur le sens de la droite, sur le covid; sur le marinisme, le marionisme, le zemmourisme ; sur Houellebecq et sur le metal; sur Platon et Aristote ; sur la nature et sur la grâce. En somme, les discussions d’un soir de Noël – en somme, les engueulades familiales.
Membre parmi d’autres de cette grande famille qu’on appelle la France, L’Incorrect regarde donc en face au terme de cette sept fois septième éditions, au terme de ce quarante-neuvième numéro, et ses turpitudes et ses gloires, et ses échecs et ses victoires.
Alors que débute avec 2022 une grande bataille de notre temps, la présidentielle, L’Incorrect s’apprête à remettre les compteurs à zéro et espère qu’à lui-même on remettra ses dettes. Pour que tout continue.