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Éditorial de Romaric Sangars : LES ÉLUS, LES INCLUS ET LES ILLISIBLES

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Publié le

5 septembre 2024

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Jusqu’à la dernière décennie, dans une perspective encore parfaitement judéo-chrétienne, nous vivions dans un idéal d’élection. Chacun rêvait d’être élu et de passer à la droite du Christ lors du Jugement final, et semblablement, d’un point de vue amoureux, d’être élu par l’être que l’on voulait élire à l’exclusion des autres. Notre imaginaire, notre mécanique désirante, notre projection de nous-mêmes : tout fonctionnait sur cette logique. Était-elle discriminatoire ? Oui, évidemment, c’était son principe, et nous n’en concevions aucune apoplexie. Pour autant, il serait faux de penser qu’elle excluait des catégories d’êtres humains, vu que le champ de l’élection s’étendait à l’universel et que sa nature transcendante s’opposait aux logiques mondaines, voire les renversait. L’âme du pauvre avait plus de chance de passer le crible que celle du prince enviré de lui-même. Les lois de l’attraction amoureuse déjouaient celles de la reproduction sociale et du pouvoir, c’était même le sujet d’un roman et d’une comédie sur deux, et depuis une dizaine de siècles.

Comme les marxistes ne saisissent pas la dimension transcendante, leur vision s’arrête au plafond et leur désir aux objets les plus proches et les plus triviaux, si bien que le principe électif a vite été interprété par ces primitifs comme une insupportable discrimination plus ou moins arbitraire et dissimulée. Résultat : ils veulent désormais lui substituer le principe inclusif. Bien. Appliquant leur logique, le dernier festival Rock-en-Seine, entre le 21 et le 25 août derniers, fut doté de « chansigneurs », de « souffleurs d’images » et de « bulles de silence ». Vous avez bien lu. Si l’on se souvient de ce qu’évoquait le rock à l’origine : l’instinct sublimé, la jeunesse fauve, le risque et l’éros, on mesure le ridicule d’une pareille évolution.  

L’avantage des aveugles sur les sourds, dans ce genre de circonstances, c’est qu’ils peuvent au moins profiter pleinement de la musique.

Les « chansigneurs » traduisent visuellement, avec le langage des signes, le propos de la chanteuse du groupe Gossip, par exemple. Personne n’a jamais trop capté dans le contexte d’un concert ce qu’un chanteur anglophone racontait, et en général, l’auditeur ne s’en porte pas plus mal. Mais pour inclure les sourds, enfin les « malentendants », on adjoint cet étrange spectacle parasitaire au spectacle initial qui permet donc au dit malentendant d’avoir accès aux élucubrations confuses de la chanteuse, quoi qu’il ne puisse vraiment profiter de son chant. D’accord, mais s’il n’entend pas, pourquoi se rend-il à un concert et pas au musée, par exemple ? Parce qu’à défaut d’être élu, il tient à être absolument inclus. Telle est l’obsession actuelle. Enfin, je doute que les malentendants, en général, le souhaitent, mais on tient à ce qu’ils y tiennent. Les « souffleurs d’images » permettent aux aveugles, enfin aux non-voyants, d’être informés de ce qu’il se passe sur scène. L’avantage des aveugles sur les sourds, dans ce genre de circonstances, c’est qu’ils peuvent au moins profiter pleinement de la musique. Enfin, sauf si on leur parle dans l’oreille pour leur expliquer ce qu’il se passe sur scène, j’imagine. D’où la bizarrerie du service proposé.

Les « bulles de silence » sont à disposition des « déficients intellectuels » (sic) qui souhaiteraient échapper au vacarme que suscite fatalement un festival de rock peuplé de dizaines de milliers de jeunes gens bourrés et où tremblent en permanence des enceintes gigantesques. Il faut sans doute être déficient intellectuel, en effet, pour se rendre à un tel événement si l’on ne supporte pas le bruit, me direz-vous, cela revient à aller assister à une bataille de plâtre en étant asthmatique et alors que personne ne vous a jamais obligé à participer à la chose. Voilà vraiment des attitudes surprenantes.

Être élu par qui nous avons élu, voilà qui est exaltant, c’est logique comme la foudre. Mais être intégré par certains milieux qui nous sont inadéquats en usant d’artifices, à part pour le plaisir de culpabiliser les foules, je ne vois pas trop l’intérêt. C’est une morale de ruche, de monde-machine cherchant à imbriquer tous ces rouages jusqu’à l’absurde, s’obstinant à les rendre absolument interchangeables quitte à dénaturer les rouages ou à saboter l’ensemble. Indépendamment des scènes grotesques que cette logique contre-élective engendre, qui peuvent nous faire sourire, mais qui soutiennent moins les potentiels exclus que si ceux-ci se voyaient radicalement élus par quelqu’un ou quelques-uns, indépendamment de cela, donc, elle contribue, cette logique, à abolir insidieusement tout sens critique, parce que toute libido élective.

Je la tiens, par conséquent, cette logique, et c’est là que j’en viens à mon but, comme responsable d’un autre phénomène : le niveau lamentable de cette rentrée littéraire. Quelques perles dans un torrent d’encre inutile, et la presse généraliste qui s’extasie pour cette kermesse avec une ferveur automatique sans jamais paraître remarquer la chute.

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