Skip to content

Éditorial idées de février : Pas de vérité sur la carte

Par

Publié le

3 février 2023

Partage

« On ne rejoint donc pas la vérité en suivant la lumière, au contraire, il faut prendre le risque des ténèbres. » Éditorial idées du numéro 61 par Rémi Lélian.
vérité

La vérité n’est pas essentiellement une chose aisée, et ce d’abord dans la mesure où elle est déplaisante. Elle s’impose à nous comme un accident qui nous dévie de notre chemin, alors que nous étions en terrain connu avec pour but précis d’aller où nous désirions nous rendre. Voici donc que nous quittons la route pour dévaler hors des sentiers battus, non pas pour nous distraire et découvrir de nouveaux points de vue, mais parce que nous avons perdu notre équilibre, que notre assiette est désaxée, bref qu’on s’est paumé sans s’en être aperçu suffisamment tôt pour ne pas l’être entièrement. Il fait sombre, c’est moche, on dirait qu’il va pleuvoir, et on ne sait ni le nord ni le sud, le ciel est noir, on ne voit rien. Ajoutons à cela la nausée qui persiste bien trop longtemps après l’étourdissement qui nous a fait quitter la route sans carte, et la trouille d’être blessé au beau milieu de nulle part, on aura une idée un peu plus précise de ce qu’est être aux abords de cette vérité qui nous a précipités dans le ravin pour s’enfuir aussitôt. On ne la rejoint donc pas en suivant la lumière, au contraire, il faut prendre le risque des ténèbres, les vraies, pas celles qu’on revendique pour faire genre ou auxquelles n’importe qui accède – la dépression nerveuse ne suffit pas à dévoiler quoi que ce soit.

Lire aussi : Éditorial idées de janvier : L’enfant cancéreux

Bref, ça n’est pas agréable, c’est une ascèse dont personne n’est capable tout le temps, ni même souvent, et absolument jamais sans effort ou sans volonté farouche de se désaxer. Et pour cause, notre esprit fonctionne à l’inverse, donnant à tout ce qui nous fait plaisir, nous flatte et nous confirme le nom de vérité afin de nous faire plaisir, de nous flatter mais aussi parce qu’il n’est pas toujours utile de se poser la question de la réalité du plat que l’on nous sert, ni même de réfléchir à la pertinence synonymique des mots « vrai » et « réel », et que la répétition instinctive, comme la crédulité, possède une utilité pratique évidente. Pour autant, ça n’est pas l’exigence de vérité qui nous motive en cette circonstance mais bel et bien le plaisir de se bâfrer selon la carte – attention à ne pas confondre ! De fait, la vérité est une exigence et un travail ingrat, sans résultat certain immédiat. Pis, on travaille seulement à s’en rapprocher, puisqu’elle s’enfuit aussitôt qu’elle nous a bousculés.

C’est dans l’effort vers le minuscule que la vérité se définit avec le moins de confusion, au contraire du mensonge qui braille et voit les choses en grand

On éclairera donc les petites parties du champ où on a échoué en s’attachant non pas à abolir les ténèbres mais à favoriser et à conserver quelques rares espaces laborieusement ravis à la nuit. Cela s’appelle la science, au sens plein. Selon nos propres forces, il n’y a rien de plus à espérer, car c’est dans l’effort vers le minuscule que la vérité se définit avec le moins de confusion, au contraire du mensonge qui braille et voit les choses en grand. Untel connaît le secret de son existence – il s’illusionne ou il ment ! Un autre sait les manipulations des puissants sans avoir au préalable patiemment dégagé de l’ombre les divers et néanmoins rares champs d’action dont disposent les fameux puissants – il s’illusionne ou il ment ! On ne naît pas femme, on le devient – mensonge ou illusion ! On naît femme, on ne le devient pas – mensonge ou illusion ! Car qui sait les raisons qui l’animent ? Qui octroie aux puissants une puissance démesurée que rien ne prouve ? Qui nie que la femelle contienne en puissance la femme et qui pense sincèrement que la femme est réductible à la femelle ? Tous ceux qui, confortablement installés dans leur SUV, roulent perpétuellement sur l’autoroute lumineuse et sans fin de leur plaisir. Dieu fasse qu’ils partent un jour suffisamment fort dans le décor pour le crever et l’agrandir.


Cliquez ici pour vous procurer le numéro 61 ou vous abonner à L’Incorrect.

EN KIOSQUE

Découvrez le numéro du mois - 6,90€

Soutenez l’incorrect

faites un don et défiscalisez !

En passant par notre partenaire

Credofunding, vous pouvez obtenir une

réduction d’impôts de 66% du montant de

votre don.

Retrouvez l’incorrect sur les réseaux sociaux

Les autres articles recommandés pour vous​

Restez informé, inscrivez-vous à notre Newsletter

Pin It on Pinterest