La synthèse de viande n’est pas une lubie d’auteurs de science-fiction un peu trop imaginatifs. Dans dix ans – c’est-à-dire dès demain -, la viande artificielle pourrait être une réalité. Alors que tous les regards de la filière viande sont braqués sur les « antispécistes » qui livrent une bataille médiatique d’une ampleur inédite aux acteurs du secteur, les plus gros industriels du secteur agro-alimentaire anglo-saxon anticipent et planchent déjà sur le développement d’alternatives à la « viande sur pieds ».
En décembre 2017 se tenait à New-York un colloque intitulé Sustainable Food Systems : investment risks and opportunities (Alimentation durable : risques d’investissement et opportunités), dont les objectifs étaient ainsi résumés par ses organisateurs : « Le secteur agro-alimentaire est soumis à une pression croissante due à l’augmentation de la population et aux changements démographiques.
La hausse de la demande de viande est liée à une série de risques d’investissement liés à la déforestation, à la pollution de l’eau et de l’air, au cancer, à la résistance aux antibiotiques et à l’obésité.
Il existe également des opportunités à saisir sur le marché en pleine croissance des protéines végétales et alternatives qui ont le potentiel d’offrir un modèle de production alimentaire plus durable.
L’événement sera un forum pour les investisseurs pour comprendre et discuter des stratégies afin d’aborder les risques et opportunités matérielles présentés par la production de protéines, et de partager des questions avec des experts dans le domaine ». À l’origine de ce colloque ouvert aux portefeuilles les plus avisés : le groupe FAIRR Initiative.
Qui se cache derrière ces initiales barbares ? Un réseau collaboratif d’évaluation des risques liés à l’élevage animal intensif fondé par le richissime britannique Jeremy Coller, récompensé à de multiples reprises par le Financial News pour ses accomplissements dans le capital-investissement et même désigné « personnalité européenne de l’année » en 2013. L’homme est aussi un philanthrope ayant adopté une alimentation … entièrement « vegane ». Il s’est d’ailleurs donné une mission : mettre un terme à l’élevage industriel avant l’année 2060.
Si l’homme a d’importants moyens pour y parvenir, il peut aussi compter sur le zeitgeist qui a fait de la protection de la planète et du bien-être animal deux pierres angulaires de la pensée occidentale contemporaine.
Du reste, les intentions affichées par monsieur Coller peuvent de prime abord sembler louables : lutter contre la surmédicamentation en antibiotiques des animaux de fermes, travailler à la mise en place d’un système offrant une meilleure traçabilité de l’origine des viandes utilisées par les grandes chaînes de restauration rapide, ou bien encore, améliorer le bien-être des animaux d’élevage.
Autant de principes qui devraient guider les agriculteurs et qui sont partagés par le plus grand nombre. L’ensemble s’appuie d’ailleurs sur un discours de nature à faire mouche chez les investisseurs, d’abord et avant tout intéressés … par leurs investissements en espèce sonnante et trébuchante : « L’initiative FAIRR vise à combler ce déficit de connaissances, en veillant à ce que les investisseurs comprennent les risques et les opportunités de cette méthode croissante de production animale et à aider les investisseurs à évaluer ces questions dans le cadre de leurs processus d’investissement. (…) Les problématiques liées à l’élevage industriel présentent un iceberg des risques pour les investisseurs.
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FAIRR pense que sous ces apparences, il existe un large éventail de risques, tous liés à cette méthode de production animale, ce qui pourrait nuire à la performance à long terme pour les investisseurs ».
Capitalisme pragmatique, éthique, souci pour l’écologie, etc. Un cocktail gagnant pour séduire les élites comme les consommateurs. De fait, le géant de l’agro-alimentaire Tyson (38 milliards de dollars de chiffre d’affaires) était présent au colloque FAIRR. Un choix étonnant puisque cette entreprise réalise une grosse partie de ses profits grâce à la viande animale … et que le projet réel de Jeremy Coller est d’en finir purement et simplement avec ce secteur.
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D’une main, Coller utilise les armes classiques du financier et un réseau tentaculaire dans le monde des affaires, tout en déployant un discours travaillé autour de la logique du profit.
De l’autre main, il légitime les associations d’activistes vegans dont il partage les idéaux. La stratégie est simple : donner le sentiment que la consommation de viande animale se conjugue dès maintenant au passé.
Mais pour le faire, il faut trouver des protéines de substitution. Le soja ne suffira pas. En avant toute pour la viande sans animal et et le lait sans vache inventés dans les laboratoires de la Silicon Valley (Perfect Day applique par exemple le séquençage de gènes et l’impression 3D pour créer du lait sans vache).
Preuve que ces innovations risquent fort de marcher : Bill Gates a lui-même placé la viande de synthèse en tête des « technologies du futur » dans lesquelles il compte personnellement investir pour bâtir le « meilleur des mondes » possible.
Le danger pour la filière viande est immense, puisque ces alternatives pourraient totalement remplacer la viande animale naturelle dès leur mise sur le marché, du moins pour ce qui concerne la consommation courante.
D’une main, Coller utilise les armes classiques du financier et un réseau tentaculaire dans le monde des affaires, tout en déployant un discours travaillé autour de la logique du profit. De l’autre main, il légitime les associations d’activistes vegans dont il partage les idéaux.
La filière viande doit donc se réinventer pour ne pas subir un choc susceptible d’entraîner sa disparition à moyen terme. Les risques sanitaires mis en avant par FAIRR sont réels mais concernent principalement les pays en développement ne disposant pas des normes sanitaires que nous connaissons en France et plus généralement dans l’Union européenne.
La France a tout intérêt à rapidement réorienter sa stratégie en matière d’élevage d’animaux, à produire prioritairement du qualitatif qui ne serait pas menacé par la viande de synthèse.
Mieux, à le faire bruyamment savoir. C’est en retrouvant une consommation raisonnable de viandes de qualité, produites avec le souci du bien-être animal et vendues à proximité de leur lieu d’abattage, que la filière viande pourra lutter.
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Car n’en doutons pas, les opinions publiques occidentales sont prêtes à manger de la viande artificielle pour « sauver la planète » – quand bien même cela nous semblerait aujourd’hui délirant, voire dégoûtant -.
De la même manière que de nos jours nous ne sommes malheureusement plus nombreux à nous émouvoir que des enfants naissent après avoir été portés par une femme qui n’est pas leur mère biologique parce que tout le monde aurait « le droit » d’avoir un enfant.
Le cas FAIRR est donc exemplaire d’une époque où le primat économique se double d’un impératif émotionnel et compassionnel de façade que dictent médias, célébrités et lobbys en tout genre. Bienvenue à Gattaca.
Gabriel Robin